Un groupe terroriste menace des centres commerciaux en Amérique du Nord, des journalistes sont décapités par le groupe État islamique, des caricaturistes sont assassinés, la Russie poursuit son entreprise de déstabilisation de l'Ukraine, la Chine attise les tensions avec ses voisins.

Il n'en faut pas plus pour que médias, experts et politiciens affirment sans nuances que le monde n'a jamais été aussi dangereux. Vraiment ?

Cela fait plus de 40 ans que j'observe les affaires du monde et je constate que l'industrie de la peur est une des plus florissantes. Les gouvernements en mal de faire passer une décision, les groupes de pression désireux d'imposer leurs idées, les ONG soucieuses d'attirer l'attention sur une affaire n'hésitent jamais à accentuer le négatif afin de convaincre l'opinion publique de la justesse de leur cause et de l'urgence d'agir.

Aujourd'hui, les discours sur les menaces à la sécurité - terrorisme, prolifération nucléaire, insurrections, cyberattaques, agressivité des grandes puissances, changements climatiques - dominent l'espace public et pas toujours avec intelligence et modération.

Ainsi, en 2012, le chef d'état-major interarmées des États-Unis, le général Martin Dempsey, affirmait vivre « à l'époque la plus dangereuse de sa vie ». Le sénateur républicain John McCain en rajoutait en expliquant que le monde « est plus dangereux que ce que je n'ai jamais vu. »

Plus près de chez nous, la semaine dernière, la Conférence des associations de la défense (CAD) tenait à Ottawa son assemblée annuelle sur le thème « Un environnement de sécurité complexe et dangereux ». Le lobby promilitaire a manqué d'originalité dans le titre de la thématique, mais le but de l'opération n'était pas de faire dans la nuance. L'objectif était d'impressionner la brochette de ministres présents par la description des « menaces » qui nous guettent.

Des époques bien plus dangereuses

L'environnement de sécurité est sans doute plus complexe - comme celui de l'éducation, de la santé, de la science, etc., mais si Dempsey, McCain et les membres du CAD avaient un peu de perspective historique, ils trouveraient certainement que les années 60 et 70 ont été, avec des ennemis comme l'URSS et la Chine, bien plus dangereuses que notre début de XXIe siècle. C'est du moins ce que démontrent, dans un nouvel ouvrage, 15 chercheurs américains rassemblés autour des politologues John Mueller et Christopher Preble. Aucun d'entre eux n'était conférencier à l'assemblée annuelle du CAD, et pour cause.

Dans ce livre, A Dangerous World ?, les auteurs analysent les discours dominants sur différentes « menaces » à la sécurité américaine et mondiale et décrivent leur réalité concrète. La plupart des auteurs « soutiennent que - du point de vue de la sécurité nationale des États-Unis - le monde est un endroit sûr qui le devient de plus en plus et que les Américains jouissent d'une sécurité que la plupart de nos ancêtres nous envieraient », écrivent en introduction Mueller et Preble.

La prolifération nucléaire est une des « menaces » aux yeux de nos marchands de peur. Il y a deux acteurs susceptibles de s'engager dans l'acquisition d'armes nucléaires : les États et les groupes non étatiques. Or, la dangerosité que cela advienne rapidement et massivement chez les uns comme chez les autres a toujours été largement exagérée depuis le début de l'ère atomique.

En fait, aujourd'hui, le nombre d'États nucléaires est limité à neuf et aucun groupe, terroriste ou autre, n'a réussi à acquérir une bombe atomique, encore moins à la fabriquer. « Des décennies de prédictions alarmistes à propos de prolifération en chaîne, en cascades, en vagues, d'effet domino, d'avalanches, d'épidémies et de points de non-retour étaient toutes erronées », écrivent les auteurs.

Est-ce pour autant une raison de ne pas s'inquiéter ? Non, bien entendu, mais encore faut-il « bien saisir la menace » et savoir la mettre en perspective. Ce livre nous y invite avec calme et intelligence.

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