Au lendemain des tueries de Paris, les pouvoirs publics un peu partout en Occident, et surtout en Europe, ont adopté des mesures urgentes afin de protéger les lieux de cultes juifs et les rédactions de journaux. Ils ont aussi engagé un processus législatif afin de renforcer les lois antiterroristes. Dans les rues, on a entendu les slogans «Je suis Charlie», «Je suis juif», «Je suis policier». Ces réactions sont tout à fait compréhensibles.

On a très peu entendu le slogan «Je suis musulman». Et pourtant, il faut le redire, les premières victimes du terrorisme islamiste sont des musulmans. Ces musulmans se font tuer quotidiennement en Afrique, au Proche-Orient et en Asie. Pour certains, ils sont victimes des conflits sanglants entre chiites et sunnites; pour d'autres, ils ont eu le tort de vouloir rejoindre la modernité, un concept qui n'est pas uniquement synonyme d'occidentalisation.

Il faut donc le redire, car le visage hideux du racisme et de l'islamophobie resurgit avec virulence depuis les attentats de Paris. Cette résurgence n'est pas le fait uniquement de quelques anonymes, mais de gens connus et influents. Ainsi, vendredi dernier, alors que les corps des journalistes de Charlie Hebdo étaient à peine froids, le magnat des médias Rupert Murdoch a craché sa haine dans un tweet ignoble.

«Peut-être que de nombreux musulmans sont pacifiques, mais jusqu'à ce qu'ils reconnaissent et détruisent leur cancer djihadiste qui grandit, ils doivent être tenus pour responsables», a-t-il tweeté. Le milliardaire adapte ici une vieille rengaine de l'antisémitisme qui fait reposer sur les Juifs une responsabilité collective dans la mort de Jésus. Il l'accole aux musulmans et leur enjoint de s'amender.

Les éructations obscènes de Murdoch ne sont pas le fruit d'une émotion soudaine. Elles s'inscrivent, au moins depuis le 11-Septembre, dans un courant puissant où les musulmans sont quotidiennement diabolisés et rabaissés par les médias et par certains politiciens. Cet environnement délétère contribue à la multiplication des fantasmes sur les musulmans - prosélytes, fanatiques, envahisseurs - et à l'instauration dans l'esprit des «autres» d'une obsession collective, celle de l'islamisation de nos sociétés. Ainsi, depuis quelques semaines, en Allemagne, le mouvement Pegida, acronyme pour «Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident», rassemble des foules lors de manifestations anti-musulmanes.

Cette obsession de l'islamisation est superbement décrite dans un ouvrage à lire absolument, Le mythe de l'islamisation, de Raphaël Liogier. L'auteur y réfute point par point l'hypothèse de la «bombe démographique» musulmane en Europe qui «serait prête à exploser sur le triple front de la natalité, de l'immigration et de la conversion» et rend ainsi justice à ces millions de musulmans parfaitement intégrés dans nos sociétés.

Ces musulmans sont chez eux ici comme en France et en Europe. Ils doivent prendre la parole; s'engager dans les débats sur les dérives théologiques et politiques de l'islam, l'antisémitisme dans leur communauté et les excès de la religiosité; dire leur attachement aux valeurs démocratiques; être présents dans cet espace public trop souvent occupé par des gens qui s'expriment sur eux sans vraiment les connaître. Nos médias, dont le devoir d'informer sur tout est incontestable, ont un effort à faire pour présenter, oui, les aspects positifs de la vie des musulmans et les réalisations des civilisations du monde musulman.

Enfin, nos politiciens doivent avoir le courage de combattre l'islamophobie. Jusqu'ici, ils ont été trop timides. Mardi à Berlin, la chancelière allemande Angela Merkel a donné l'exemple en participant à une marche contre les anti-musulmans.

Toujours mardi, à la tribune de l'Assemblée nationale, le premier ministre français Manuel Valls a été catégorique. «Je ne veux pas que des musulmans aient honte» de leur religion. Et de conclure à une urgence, «celle de protéger nos compatriotes musulmans.» Oui, protéger aussi les musulmans.

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