Le terrible attentat dont ont été victimes des journalistes de l'hebdomadaire français Charlie Hebdo, hier à Paris, souligne à quel point la liberté d'expression demande du courage à ceux qui l'utilisent pacifiquement afin de dénoncer les pouvoirs quels qu'ils soient.

À l'évidence, l'attentat, sophistiqué et méticuleusement planifié, est à motivations politico-religieuses. L'hebdomadaire est puni pour s'être moqué de l'islam et de son prophète. Charlie Hebdo ne fait pas dans la dentelle lorsqu'il s'attaque aux religions. En fait, c'est ce qui cimente son équipe rédactionnelle. «L'attaque contre toutes les religions, c'est ce qui constitue notre identité», affirmait l'un de ses dirigeants en 2012. Le journal satirique venait de publier des caricatures du Prophète et s'était alors attiré les foudres du premier ministre français de l'époque, Jean-Marc Ayrault, et de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Le journal était allé trop loin selon eux.

Peut-être. Mais, il y a un mais. C'est la caricature de l'islam qui provoque la violence. «Ces emballements ont toujours lieu à propos de la même religion, se désolait en 2012 le dessinateur Charb, abattu hier. Il n'y a que trois «Unes» qui ont fait scandale, toujours sur l'islam. On peut représenter le pape est train d'enculer une taupe, il n'y a aucune réaction. Au pire, un procès.»

L'islam, ou une certaine idée de l'islam. Il faut bien le reconnaître, des musulmans fanatisés ont pris en main de «défendre» l'islam, leur islam. Et ces fanatiques ont la bénédiction des plus hautes autorités musulmanes, du moins l'avaient jusqu'à tout récemment. Tout a vraiment commencé en 1989, lorsque le dirigeant suprême iranien Khomeini a ordonné l'assassinat de l'écrivain britannique Salman Rushdie pour avoir publié Les Versets sataniques, livre dans lequel il était accusé de se moquer de l'islam et du Prophète. Les éditeurs aussi ont été menacés, et un tué.

L'affaire Rushdie a provoqué des réactions contrastées. Après un moment de stupeur, l'écrivain a reçu des appuis, principalement en Occident. Dans le monde arabe et musulman, on a plié l'échine et le livre a été interdit. Rushdie a fait preuve de courage, mais le mal était fait. En 1990, il s'est excusé et en 1999, l'Iran a renoncé à faire appliquer la décision de Khomeini.

Les caricatures de Mahomet, publiées en 2005 par un journal danois, ont ravivé les tensions. Les pays arabes et les autorités religieuses musulmanes ont dénoncé le Danemark, mais en Occident, Charlie Hebdo a publié certaines des caricatures décriées. La polémique a pris de l'ampleur, des gens ont été tués lors de manifestations dans des pays musulmans. Ben Laden a averti l'Europe qu'elle devra rendre des comptes.

Dans ces affaires, comme récemment avec certaines actions du groupe terroriste État islamique, des journalistes, des écrivains, des dessinateurs sont les principales victimes. Et ces victimes ne sont pas seulement occidentales, faut-il le rappeler. Tous les jours, dans le monde musulman et principalement en Irak, au Pakistan, en Algérie, en Syrie, en Libye, nombreux sont ceux qui tiennent le crayon, le fusain, la caméra et qui sont arrêtés, torturés et souvent tués. Ils ne caricaturent sans doute pas leur religion, mais défendent la démocratie et la liberté d'expression.

L'attentat de Paris va-t-il refroidir les ardeurs de tous ceux et celles qui usent publiquement de la liberté d'expression, une valeur si fragile et qui demeure toujours difficile à protéger et à promouvoir? Hier, le premier ministre britannique David Cameron a affirmé que les terroristes «ne pourront jamais nous ôter ces valeurs.» On voudrait le croire. Après tout, Rushdie s'est excusé. Après tout, le gouvernement français avait demandé en 2012 à Charlie Hebdo de limiter ses attaques contre l'islam. La peur s'installe petit à petit. Qui voudra demain remplacer les 10 journalistes de Charlie Hebdo morts en «martyrs de la liberté», comme les a qualifiés hier un imam français?

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