La ville syrienne de Kobané, peuplée de Kurdes, subit depuis des semaines les assauts répétés du groupe armé État islamique (EI). La résistance de cette ville prend un tour mythique avec sa désignation de «Stalingrad» du Proche-Orient, ce qui est faux, tant sur le plan militaire qu'humain. Pour autant, sa situation actuelle illustre, si besoin était, la cruauté et la complexité des conflits dans cette partie du monde.

Kobané n'est pas Stalingrad. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Stalingrad a été le théâtre d'un affrontement titanesque entre les armées allemandes et soviétiques. Près d'un million de soldats et de civils y ont perdu la vie en quelques mois. Cette bataille est considérée comme un tournant dont l'issue fut la chute du nazisme.

La ville de Kobané est l'objet d'un conflit entre quelques milliers de combattants et sa population s'est réfugiée en Turquie, dont la frontière est située tout près. Exit la comparaison douteuse, fruit des appareils de propagande occidentale et de quelques journalistes et commentateurs pour qui la résistance des Kurdes est trop souvent l'objet d'analyses romantiques.

Les priorités de la Turquie

Pour comprendre le drame de Kobané, comme celui de dizaines d'autres villes en Syrie, il faut se déplacer sur le plan politique et tenter de décoder le jeu complexe auquel se livrent les principaux acteurs. La Turquie est le premier d'entre eux et celui qui dispose dans la région des moyens les plus importants afin de dégager Kobané de l'emprise des djihadistes.

Depuis quelques jours, son président, Recep Erdogan, ne cesse de répéter à qui veut l'entendre qu'une action doit être entreprise pour sauver la ville. «La terreur ne sera pas stoppée (...) tant que nous ne coopérerons pas en vue d'une opération terrestre, a-t-il déclaré mardi. Des mois ont passé et nous n'avons obtenu aucun résultat. Kobané est sur le point de tomber.»

Mais que fait au juste la Turquie avec son armée de 600 000 soldats et ses centaines de blindés et d'avions de combat? Rien. Officiellement, elle attend de la coalition internationale la création d'une zone tampon dans le nord de la Syrie et d'une zone d'exclusion aérienne pour intervenir.

Balivernes, répondent les États-Unis, pour qui les Turques inventent des raisons pour ne pas intervenir contre un ennemi qu'ils estiment secondaire. La Turquie a en effet deux priorités: renverser le régime Assad en Syrie et empêcher les Kurdes syriens, turcs et irakiens de s'unir. La chute éventuelle de Kobané ne les dérangera pas, surtout si l'EI poursuit sa stratégie de lutte contre le régime Assad. L'ennemi de mon ennemi est mon ami.

Les États-Unis sont le deuxième grand joueur dans ce drame. Ils ont identifié l'EI comme la menace principale à la sécurité dans la région et accepté de diriger une coalition multinationale pour en venir à bout. Selon le chef d'état-major américain, le général Martin Dempsey, le remplacement du régime Assad est une question à laquelle Washington s'attaquera plus tard. Dès lors, les Américains sont parfaitement conscients de leur choix. En tentant de réduire sinon de détruire l'EI, ils se trouvent indirectement à renforcer le régime syrien.

Une coalition d'intérêts divergents

Au camp turc et au camp américain, il faut aussi ajouter une myriade d'autres camps - saoudien, qatari, émirati, jordanien, iranien - dont les intérêts dans les conflits en Irak et en Syrie sont très souvent opposés, au point où certains n'hésitent pas à appuyer des groupes terroristes uniquement pour affaiblir des rivaux.

La ville de Kobané tombera-t-elle ou non? Dans le maelström qu'est devenue la région, cela n'a guère d'importance. Le tactique doit laisser place au stratégique. Avant de s'inquiéter du sort d'une ville, il faut s'entendre sur une action commune, cohérente et durable. Cela reste encore à faire.

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