L'Irak n'a jamais connu une semaine de paix depuis l'invasion criminelle de 2003 ordonnée par George W. Bush et Tony Blair et qui a fait 200 000 morts et des millions de réfugiés et déplacés. Ce moment fondateur a immédiatement provoqué une contestation violente du pouvoir installé par les Anglais et les Américains. Contestation qui, depuis, ne cesse de s'étendre au gré des recompositions politiques irakiennes et des interventions régionales.

Depuis quelques jours, un groupe pratiquement inconnu il y a encore un an a rassemblé une armée assez nombreuse pour menacer directement le pouvoir à Bagdad après avoir pris Mossoul, la deuxième ville du pays, et d'autres villes du nord et de l'ouest de l'Irak. L'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) est le dernier avatar des luttes auxquelles se livrent plusieurs organisations terroristes en Irak et en Syrie.

D'abord irakien et affilié à Al-Qaïda, l'État islamique en Irak a joint le combat contre le régime Assad en Syrie en s'associant avec Al-Nosra, l'entité la plus puissante parmi celles qui luttent en dans ce pays. L'an dernier, toutefois, le groupe irakien s'est transformé en État islamique en Irak et au Levant et a revendiqué l'hégémonie de la lutte djihadiste. Al-Qaïda a rompu avec l'EIIL, et Al-Nosra s'est retourné contre son allié, devenu entre-temps le groupe terroriste le plus puissant du monde.

Il serait facile et plutôt simpliste de croire que l'EIIL est le trouble-fête en chef dans cette région et mène seul les opérations de déstabilisation du gouvernement irakien. Cette lecture serait réductrice et ferait l'impasse sur d'autres facteurs, plus profonds et plus importants, qui expliquent la situation actuelle. Ces facteurs sont d'ordre interne et externe.

Depuis la chute de Saddam Hussein, la minorité sunnite se sent exclue. L'actuel premier ministre en poste depuis 2006, le chiite Nouri al-Maliki, contrôle de plus en plus le pouvoir et ne semble avoir rien fait pour rassurer les sunnites. Ces derniers, qui ont mené les premières insurrections contre l'occupant anglo-américain, sont maintenant en pleine révolte et ont noué des alliances de circonstances avec l'EIIL.

Dans une entrevue postée sur le site de Radio-France Internationale, Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS, spécialiste de l'Irak, explique que ce sont d'abord et avant tout les tribus sunnites qui sont à l'origine de la déroute des autorités gouvernementales à Mossoul et dans d'autres villes. «Il s'agit bien d'un soulèvement populaire local qui correspond à l'échec de l'intégration des Arabes sunnites dans le jeu politique» irakien, dit-il. En effet, comment expliquer autrement la désertion ou la fuite de 30 000 soldats irakiens devant 800 djihadistes sans la complicité des puissantes tribus du nord et de l'ouest irakien et l'exaspération des populations sunnites à l'égard du pouvoir central?

Sur le plan externe, les puissances régionales et occidentales jouent un jeu délétère et vicieux. Il est de notoriété publique que l'EIIL reçoit un appui officieux de la Turquie et beaucoup d'argent de riches contributeurs privés des États du Golfe. L'EIIL et Al-Nosra participent à la lutte pour renverser le régime Assad en Syrie, ce qui est un objectif des diplomaties turque et des États de la péninsule arabique. Mais à force de jouer avec les terroristes, on se brûle les doigts, et ce n'est que la semaine dernière que la Turquie a inscrit Al-Nosra sur la liste des organisations terroristes. À quand le tour de l'EIIL?

Le gouvernement irakien a-t-il une chance d'empêcher les forces de l'EIIL de prendre Bagdad et même de «libérer» la ville de Mossoul? Les effectifs de l'armée irakienne sont considérables, même si certaines unités sont démoralisées, et peuvent être appuyés par des frappes aériennes américaines dont l'entrée en action est à l'heure actuelle négociée entre Bagdad et Washington. Au-delà de la simple riposte militaire, c'est d'une réponse politique et diplomatique dont dépendent l'avenir et l'unité de l'Irak. Mais on ne voit rien venir pour l'instant et l'Irak poursuit sa descente aux enfers.

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