L'Europe, cette formidable entreprise de paix et de prospérité, est toujours un projet en construction. Dimanche, les électeurs européens ont franchi une autre étape. Ils n'ont pas rejeté l'Europe. Ils lui ont plutôt renouvelé sa confiance tout en réclamant de la part de ses dirigeants, bureaucrates comme nationaux, un peu plus d'empathie envers ceux qui souffrent et un peu plus de courage afin d'affronter la grave crise économique et sociale qu'affronte une partie du continent.

Les commentaires faits à chaud au moment d'un événement sont rarement brillants, et ceux sur l'Europe ne font pas exception. En France, en particulier, où on se prend encore pour le nombril du continent, il s'est dit à peu près n'importe quoi sur les résultats locaux en oubliant le reste du continent. Libération a titré «La France FN», Le Figaro a parlé de «la victoire écrasante du FN» et d'autres ont annoncé «le triomphe des europhobes». Tout cela est faux. Non seulement la France n'est pas FN (Front national) - seule une élection législative pourrait le confirmer, et encore - , mais le parti de Marine Le Pen n'a pas obtenu une victoire écrasante avec... 25% des voix, du moins si les mots veulent dire encore quelque chose.

Une analyse fine des résultats en France et par pays permet ainsi à Marc Crapez, politologue français, d'écrire avec raison que les élections européennes «ne montrent aucune percée de l'euroscepticisme ni du populisme». Ainsi, le FN passe de 11% en 1984 à 25% en 2014, «un résultat sur trente ans qui n'a rien de spectaculaire», écrit-il. En fait, la comparaison avec les élections de 1994 montre plutôt «que les partis européistes se trouvent confortés et les listes eurosceptiques sont en reflux» en 2014, écrit-il. En 1994, les listes d'extrême droite française avaient reçu 23%. Marine Le Pen n'a pas de quoi pavoiser, mais elle le fait avec d'autant plus de grâce qu'elle a devant elle des commentateurs prêts à lui cirer les bottes dès qu'un conseiller FN est élu dans un bled perdu.

Dans le reste de l'Europe, les résultats sont contrastés. En Espagne, en Allemagne, au Portugal, en Italie et même aux Pays-Bas, les pro-européens résistent, et certains partis anti-européens sont en recul. Outre la France, il n'y a qu'au Royaume-Uni et au Danemark où ils arrivent premiers. Si les partis pro-européens, environ 70% des voix, ont obtenu mauvaise presse, c'est bien en raison de leur fragmentation. De gauche à droite, les listes sont nombreuses et éparpillent les votes pro-européens, donnant l'impression que les antis triomphent.

Les pro-européens ont donc gagné l'élection, et il est bon de le rappeler. Chez les europhobes, on a dit qu'ils étaient contre l'Europe au point de s'en détacher. C'est vrai et faux. Ainsi, l'UKIP (UK Independence Party) britannique prône ouvertement le retrait de la Grande-Bretagne. En Grèce, cependant, l'extrême gauche anti-européenne, qui a obtenu 30% des voix, veut, elle, une «autre Europe», ce qui n'est pas la même chose.

Ces distinctions faites, et elles sont importantes, les électeurs ont envoyé deux messages. Le premier, en direction de leur gouvernement national: c'est souvent celui-ci et ses politiques migratoires, économiques et sociales - en France, en Grèce, en Grande-Bretagne - , qui ont été sanctionnés lors du scrutin, pas l'Europe. Le deuxième, en direction des politiciens et des eurocrates: rendez l'Europe plus transparente, plus lisible, plus proche des réalités quotidiennes.

La construction européenne est «une aventure partagée» entre 28 pays, écrit Luuk Van Middelaar, dans son très beau livre Le passage à l'Europe: Histoire d'un commencement. Il y a des reculs, il y a des avancées. Mais au cours des soixante dernières années, «trois lignes de force traversent son histoire: une capacité invraisemblable à se renouveler, l'implication malgré eux des chefs de gouvernement, l'éveil à rebours du public», écrit-il. Alors, vive l'Europe!

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