L'annexion de la Crimée par la Russie a provoqué un nombre considérable de déclarations dans les deux camps. Plusieurs d'entre elles prononcées sous le coup des émotions sont bien compréhensibles. D'autres, cependant, émanant de responsables militaires occidentaux, n'aident en rien à trouver une solution diplomatique, si cette voie est encore possible à ce stade de la crise.

Ainsi, l'ex-première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko s'est excusée cette semaine sur son compte Twitter pour avoir proféré des menaces contre les Russes. Au cours d'une conversation téléphonique enregistrée et diffusée par les services secrets russes, l'égérie de la révolution orange n'a pas caché sa haine de Poutine et des Russes. À un moment donné, son interlocuteur se demande quel sera le sort des huit millions de Russes vivant en Ukraine. «Il faut les tuer à l'arme nucléaire», dit-elle. Même si Mme Timochenko a nié cette séquence particulière de la conversation, il n'est pas surprenant qu'elle se soit déchaînée contre la Russie. Après tout, son pays est attaqué.

Le commandant suprême des forces de l'OTAN en Europe n'a pas cette excuse. Lors d'une conférence dimanche dernier, le général américain Philip Breedlove a affirmé, sur la foi d'une présence «massive» de troupes russes à la frontière orientale de l'Ukraine, que la Russie pourrait «se précipiter en Transnistrie si une telle décision devait être prise à Moscou». Une pareille déclaration relève d'une incroyable irresponsabilité de la part de l'OTAN et contribue à installer dans cette région une atmosphère d'hystérie dont elle n'a vraiment pas besoin.

Mais qu'en est-il de cette invasion appréhendée? La Transnistrie est un territoire peuplé de plusieurs minorités et coincé entre la Moldavie et l'Ukraine. Elle a fait sécession de la Moldavie en 1990 avant même la chute de l'URSS et les autorités en place demandent le rattachement à la Russie. Depuis, les Européens pilotent des négociations entre toutes les parties pour trouver une solution à ce problème très complexe. Pour envahir la Transnistrie, la Russie doit transporter ses forces par voie aérienne ou traverser le sud de l'Ukraine sur plusieurs centaines de kilomètres.

Mais pourquoi au juste? Les troupes russes sont déjà en Transnistrie depuis vingt ans et n'ont absolument pas besoin de renforts. Quant à la volonté de Moscou de punir la Moldavie pour son rapprochement avec l'Union européenne, cette explication est bancale. L'occupation du nord de Chypre par la Turquie depuis 1974, et jamais punie par les Occidentaux, n'a pas empêché Chypre de joindre l'Union européenne tout en poursuivant des négociations afin d'aboutir à la réunification.

Si la déclaration incendiaire du général américain vise à semer le trouble, elle alimente aussi un vif débat en Occident sur la baisse des budgets de défense. Les militaires ne digèrent toujours pas les réductions des budgets imposées à Washington, Ottawa et ailleurs depuis plusieurs années. La crise ukrainienne vient donner un second souffle à leur campagne. Aujourd'hui, ils usent de la peur de l'«ours» russe pour demander une augmentation de ces budgets. Tous les arguments sont bons pour alimenter cette campagne de réarmement, même les plus stupides, comme en fait foi l'éditorial du Wall Street Journal de mardi.

Après avoir décrit l'état supposé «lamentable» des armées occidentales face au «Goliath» russe, le journal écrit sans rougir que si Vladimir Poutine «jette son dévolu sur la périphérie orientale de l'OTAN - en ciblant les États baltes par exemple - l'Alliance n'aurait peut-être pas la capacité de résister malgré sa volonté politique à cet égard». Or, tout étudiant en première année de relations internationales à l'université sait parfaitement qu'une attaque sur les pays baltes verrait une réponse foudroyante et peut-être nucléaire.

Il est grand temps que les dirigeants civils de l'OTAN rappellent à l'ordre leurs généraux. Il en va de la crédibilité de l'Alliance et de la stabilité de l'Europe.

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