Cessons de nous faire des illusions. La crise ukrainienne concentre trop d'enjeux - politiques, économiques, culturels, stratégiques - pour donner lieu à un dénouement rapide. Il faut pour l'instant se focaliser sur un de ses aspects, la situation en Crimée.

Depuis les derniers jours, la diplomatie occidentale s'époumone à condamner l'agression russe en Crimée. Chacun y va de sa déclaration, certaines n'étant pas toujours bien choisies. Ainsi, le secrétaire d'État américain, John Kerry, n'a pas résisté aux grandes envolées oratoires: «Au XXIe siècle, vous ne vous comportez pas comme au XIXe siècle en envahissant un pays sous un prétexte fabriqué.»

C'est pourtant exactement ce que les États-Unis ont fait en 2003 à propos des armes de destruction massive en Irak avec l'appui de Kerry, alors sénateur. Résultat: 200 000 morts du côté irakien. Pour l'instant, les militaires russes n'ont tué personne.

Pour autant, le temps presse. La Russie agit brutalement et méthodiquement. Elle crée sur le terrain des situations de fait qui risquent d'être irréversibles. La Crimée est dorénavant sous son contrôle. Un gouvernement pro-russe non reconnu est installé. Les bases militaires ukrainiennes sont encerclées. Chaque minute qui passe nous rapproche d'un incident susceptible de provoquer un conflit armé.

Éviter le dérapage

Pour éviter tout dérapage, les acteurs de ce drame - l'Occident, l'Ukraine et la Russie - doivent s'entendre sur un mécanisme pour calmer le jeu et lancer un processus de désescalade. Les Américains proposent le déploiement immédiat d'une mission d'observation en Ukraine sous les couleurs de l'ONU ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ces deux organisations ont une vaste expérience dans la gestion de ce type de conflits.

Dimanche, la chancelière allemande, Angela Merkel, a discuté de cette proposition avec Vladimir Poutine. Il semblait ouvert. Toutefois, il subsiste une ambiguïté quant au déploiement géographique de cette mission. Les Américains souhaiteraient sans doute que les observateurs se rendent en Crimée et dans l'est de l'Ukraine, la partie russophone. Les Russes voudront certainement restreindre le déploiement à la Crimée.

Quoi qu'il en soit, si les modalités du déploiement d'une telle mission restent pour l'instant à définir, on peut raisonnablement penser que son mandat reposerait dans un premier temps sur les objectifs minimaux que la diplomatie occidentale veut atteindre: dissuader Poutine d'aller au-delà de la Crimée, contrôler la nouvelle frontière entre l'Ukraine et la péninsule criméenne, observer les mouvements de troupes et enquêter sur les causes de la crise. Dans un deuxième temps, rien n'empêcherait d'élargir ce mandat à d'autres aspects de la question ukrainienne dans le cadre d'une véritable opération de maintien de la paix.

Le pari de Poutine

Une chose demeure certaine: la Russie n'acceptera jamais le retour au statu quo. Poutine calcule qu'il peut se permettre d'encaisser le choc de sanctions économiques et politiques. Il le croit avec d'autant plus d'assurance qu'il sait pertinemment que l'Europe en subira les contrecoups, surtout au plan énergétique.

L'occupation illégale d'un territoire par une puissance étrangère n'est pas une situation inédite dans le système international. En 1974, la Turquie, alliée des États-Unis, a envahi le nord de Chypre et ses troupes y sont toujours malgré le déploiement d'une mission de Casques bleus et l'adoption de dizaines de résolutions de l'ONU lui enjoignant de se retirer. Aucun leader occidental n'a perdu le sommeil au sujet de cette affaire.

Si la mission d'observation en Crimée peut avoir des vertus apaisantes, elle peut aussi être un piège. Comme la mission de l'ONU à Chypre, elle va geler la situation au bénéfice de la Russie et, comme pour Chypre, les Occidentaux oublieront la Crimée et retisseront les liens avec Moscou. C'est toutefois la seule option à court terme pour éviter le pire.

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