Les tensions politiques actuelles entre la Chine et le Japon se sont récemment transportées au Canada. Les deux grandes puissances asiatiques sont à couteaux tirés sur de nombreux sujets et n'hésitent pas à prendre le monde à témoin afin de trouver des alliés.

Il y a quelques jours, dans la section opinions du Globe and Mail, l'ambassadeur de Chine a fait part de l'exaspération de son pays envers le caractère «militariste» des politiques du premier ministre japonais, Shinzo Abe.

Depuis son arrivée au pouvoir, l'an dernier, le nouveau leader japonais ne cache pas sa volonté d'en finir avec un Japon «démilitarisé» et sa «diplomatie des excuses» envers les peuples asiatiques pour les crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a récemment confié vouloir changer la constitution du Japon pour permettre un plus grand activisme militaire.

Renouant avec une tradition respectée par tous ses prédécesseurs jusqu'en 2006, il s'est rendu, fin décembre, au temple shintoïste de Yasukuni où sont honorés les soldats morts pour le pays, dont quatorze criminels de guerre. La Chine, la Corée du Sud et aussi les États-Unis ont protesté contre ce que Pékin a qualifié de «provocation».

L'ambassadeur a saisi cet incident pour attirer l'attention des Canadiens sur la menace que poserait le Japon de Shinzo Abe à la paix. Il y a 72 ans, écrit-il, «près de 2000 soldats canadiens ont combattu aux côtés des Chinois et des Forces alliées pour défendre Hong Kong contre une invasion du Japon.» Canadiens et Chinois ont gagné la guerre et rétabli la paix. Malheureusement, Shinzo Abe remet en question l'ordre d'après-guerre avec ses politiques «militaristes» et sa visite au sanctuaire, affirme l'ambassadeur. «Il dirige son pays vers une voie très dangereuse (...)».

Le diplomate chinois sait jouer sur les émotions et le poids du passé pour susciter la sympathie. La Chine a en effet souffert aux mains des Japonais. Mais la mémoire de l'impérialisme japonais s'estompe et, pour plusieurs pays asiatiques, la Chine est aujourd'hui la figure d'une nouvelle puissance hégémonique. Depuis une vingtaine d'années, elle consacre d'énormes ressources financières et militaires à étendre son influence sur toute l'Asie de l'Est et le Pacifique Sud. Elle investit massivement en Birmanie, au Cambodge, au Laos, en Malaisie et aux Philippines, et est le premier partenaire commercial de la Corée du Sud et de l'Australie.

Sur le plan militaire, la marine chinoise est devenue la troisième du monde, après celle des États-Unis et de la Russie. Et Pékin n'hésite plus à l'utiliser, comme dans le contentieux qui l'oppose au Japon au sujet des îles Senkaku/Diaoyu (les appellations japonaise et chinoise désignant huit cailloux inhabités situés au sud-ouest du Japon). Ce différend territorial a toujours été une pomme de discorde entre les deux pays, mais jusqu'à tout récemment, les dirigeants chinois et japonais avaient eu la sagesse de ne pas en faire un plat. En septembre dernier, les deux pays ont fait fi de cette entente tacite et multiplient, depuis, les démonstrations de force pour appuyer leurs prétentions.

Le conflit sur ces îles «sino-japonaises» n'est qu'un parmi d'autres. L'archipel des Spratley, les îles Paracel, et quelques autres cailloux font aussi l'objet de vives polémiques entre la Chine, le Vietnam, les Philippines, et l'Indonésie. Vrai, l'enjeu est de taille, puisque les eaux entourant ces îles recèlent d'importantes ressources naturelles comme le pétrole, le gaz et certains métaux rares.

Les vives tensions entre la Chine et le Japon illustrent les bouleversements géopolitiques qui secouent présentement l'Asie. Les contentieux autour de quelques îlots inhabités peuvent certainement se régler devant la Cour internationale de justice. Mais la lutte pour l'hégémonie, elle, dépasse les compétences des juristes.

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