Le Canada a-t-il définitivement rompu avec sa tradition de participation aux missions des Casques bleus de l'ONU? À lire l'entrevue accordée cette semaine à La Presse par le ministre des Affaires étrangères, John Baird, cela ne semble plus faire de doute. Malheureusement, s'il se confirmait, un tel abandon servirait mal les intérêts du pays.

Depuis son accession au pouvoir en 2006, le gouvernement conservateur n'a jamais caché son désintérêt pour les opérations de maintien de la paix et son goût prononcé pour les interventions militaires musclées en compagnie exclusive des alliés traditionnels du Canada. Pendant plusieurs années, l'intervention en Afghanistan était devenue une obsession au point d'en oublier que le reste du monde avait d'autres priorités tout aussi importantes.

À plusieurs reprises, le gouvernement a refusé l'offre de l'ONU de prendre le commandement d'importantes missions de paix, privant ainsi nos officiers supérieurs d'une précieuse expérience dans ce domaine. Aucun pays occidental n'a commis une telle erreur. Même les États-Unis, dont la participation aux missions de paix est négligeable, placent leurs diplomates et leurs militaires à des postes stratégiques.

Le refus du gouvernement conservateur d'engager le Canada dans les missions de paix découle de la mauvaise réputation de celles-ci acquise dans les années 90 et toujours colportée par certains militaires et experts. Selon eux, le maintien de la paix ne fonctionne pas. Ce constat est faux.

Dans un article publié récemment, la spécialiste française Alexandra Novosseloff revient sur les évolutions des missions de paix de l'ONU depuis 20 ans. Si les échecs de Bosnie, de Somalie et du Rwanda marquent toujours les esprits, la demande pour les opérations de paix ne fait que croître, et l'ONU déploie aujourd'hui quelque 120 000 Casques bleus dans 16 missions, écrit-elle. Le tout coûte la modique somme de 7 milliards de dollars ou 0,5% des dépenses militaires mondiales. La guerre en Afghanistan s'élève à 50 milliards par an pour les seuls États-Unis.

De plus, les Casques bleus ne sont plus sans moyens comme avant. Le maintien de la paix s'est professionnalisé et il est mieux structuré. Certains contingents, déployés au Liban ou au Congo, sont lourdement équipés et peuvent dissuader efficacement leurs éventuels adversaires.

À trop mettre l'accent sur les échecs et les déficiences des missions de paix, on en oublie les succès. Ils se comptent par dizaines, et c'est bien pour cela que les missions de paix ont depuis plus de 15 ans été adoptées par plusieurs autres organisations internationales ou régionales comme outil de gestion ou de résolution des conflits.

La multiplication de ces missions (il y en a plus de 40 à travers le monde sous différents chapeaux) n'est pas le fruit de décisions prises à l'aveuglette. Si le maintien de la paix est devenu si populaire, c'est qu'il produit des résultats positifs mesurables et quantifiables. Il a donc un très bel avenir.

Le maintien de la paix sert aussi l'intérêt national des pays participants. La Chine l'a parfaitement compris. Depuis une dizaine d'années, elle est économiquement présente sur le continent africain où elle déloge souvent les anciennes puissances coloniales française et britannique. Mais cette présence économique a son corollaire sécuritaire: la Chine déploie présentement 1500 Casques bleus en Afrique (le Canada, 40) et a un important contingent au Liban.

Le gouvernement conservateur, lui, pense qu'il fera des affaires en Afrique sans se mouiller sur le plan sécuritaire. Il se trompe lourdement. Il viendra un moment où nos alliés engagés sur le continent africain lui rappelleront un des grands principes de la vie internationale: une puissance ne peut pas seulement retirer les bénéfices de sa présence sur la scène mondiale, elle doit aussi en assumer certains fardeaux. Le maintien de la paix est de ceux-là.

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