La révolution égyptienne prend samedi un nouveau tournant. À moins d'une décision de dernière minute annulant le référendum, le président Morsi devrait voir son projet de constitution massivement adopté et l'opposition durement battue. Comment en est-on arrivé là?

L'Égypte est en état de turbulences révolutionnaires depuis la chute en février 2011 du président Hosni Moubarak. La fin d'une longue dictature a libéré des forces politiques puissantes aux objectifs divergents. Ces forces travaillent l'ensemble de la société et tentent d'influer sur son cours. Tous les courants sont représentés, des salafistes les plus radicaux aux libéraux les plus occidentalisés. Et les Égyptiens, du moins une partie d'entre eux, se prennent maintenant aux jeux de la démocratie et de la liberté.

Mais comme dans toute révolution, il vient un moment où les jeux politiques tournent à l'affrontement entre les tenants du nouvel ordre et ceux qui veulent aller plus loin. La révolution iranienne en est un bon exemple. Après les premiers mois d'euphorie et de liberté où toutes les tendances tiraient dans différentes directions, les religieux ont brutalement mis la main sur le pouvoir et imposé un ordre théocratique oppressant.

Le conflit entre conservateurs et libéraux égyptiens qui se déroule depuis deux semaines est ce moment tant redouté. Les oppositions sont exacerbées, et pas seulement autour du texte de la constitution. Une partie des révolutionnaires de 2011 - les jeunes libéraux, les féministes, les juristes, une frange de la classe moyenne - se sent menacée par le poids considérable que les islamistes prennent dans toutes les institutions. Et la décision, depuis partiellement annulée, du président Morsi de s'arroger des pouvoirs quasi dictatoriaux a alimenté ce sentiment de marginalisation.

Le président a vu dans la réaction parfois violente des opposants à son coup de force un simple épisode dans le difficile accouchement d'une démocratie. La semaine dernière, dans l'hebdomadaire Time, il disait: «Nous faisons l'apprentissage de la liberté. Nous n'avions encore jamais vécu cela.» Toutefois, disait-il, si l'opposition a le droit de manifester, «je vois les choses plus qu'ils ne le font». En effet, le président a bien lu l'état d'esprit du peuple égyptien, de cette immense majorité des 80 millions d'Égyptiens qui n'est pas sur la place Tahrir. Il disait que le peuple approuvait ses décisions à 80%. Il a raison.

Les Égyptiens sont profondément musulmans et conservateurs et ils l'ont montré à plusieurs reprises depuis deux ans. En mars 2011, au lendemain de la chute du régime Moubarak, les militaires ont organisé un référendum sur un projet visant à introduire quelques modifications à l'ancienne constitution du pays. Les Frères musulmans, d'où est issu le président Morsi, ont appelé à voter pour, l'opposition de gauche et libérale à voter contre. Quelque 80% des Égyptiens ont approuvé le projet. En décembre 2011, ce même bloc d'électeurs envoyait au Parlement une écrasante majorité de députés islamistes, dont un fort contingent de radicaux. À deux reprises, l'opposition, celle qui se dit la mère de la révolution, a été désavouée.

Si Morsi pousse loin son avantage en imposant un référendum sur la constitution, il ne trahit pas la révolution. Il en fait une autre lecture, et celle-ci ne plaît pas aux manifestants de la place Tahrir et aux journalistes occidentaux venus leur tendre le micro sans même chercher à comprendre la société égyptienne.

Pour l'immense majorité des Égyptiens, la démocratie s'établira lentement et à petits pas. À tort ou à raison, ils considèrent les actions du président - dont cette constitution bancale - comme justes. Pour eux, et pour la première fois dans l'histoire de l'Égypte, ils ont élu un président et ils aimeraient qu'il gouverne. C'est sans doute cela que l'opposition n'a pas vraiment compris et qui explique son échec.

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