L'Union européenne est devenue une caserne de pompiers : les chefs de gouvernement ne se réunissent que pour éteindre les incendies. Le fait même que les « sommets » se multiplient est préoccupant, signe de ce que les institutions ne fonctionnent plus. Ces réunions suscitent des espérances inattendues, suivies de rapides déceptions, car l'incendie du jour éteint, les causes profondes n'y sont jamais abordées. Derrière les périls immédiats, banques au bord de la faillite, gouvernements incapables de boucler leur fin de mois, l'Union européenne est affectée d'un mal plus profond, qui est son inadaptation globale à l'économie mondialisée. Lorsqu'elle fut conçue, il y a soixante ans environ, l'Union européenne était à peu près seule au monde. Sans concurrent véritable, avec une population jeune et en expansion, il fut possible aux économies en Europe de croître rapidement tout en finançant sans douleur des États-providence confortables. Lorsque, après le choc pétrolier de 1974, la croissance ralentit, le manque à gagner fut compensé non par une révision de ces États, mais par des déficits budgétaires aisément financés sur le marché mondial des capitaux. La France, par exemple, n'a jamais connu un budget en équilibre depuis 1974 : il était plus facile de s'endetter avec des taux d'intérêt bas que de réviser le Code du travail, les bénéfices de l'assurance maladie ou l'âge de la retraite.

Le monde a changé, pas l'Union européenne. La population a vieilli et parfois rétréci, ce qui a brisé l'élan productif et renchéri le coût de la solidarité sociale : les États-providence n'en ont tenu aucun compte à l'exception relative de l'Allemagne, des Scandinaves et des Baltes. Les autres, la France, l'Europe du Sud, la Hongrie ont amplifié leur endettement. Hélas ! Nous ne sommes plus seuls sur le marché. Les investisseurs ont d'autres choix que les Bons du Trésor, espagnols ou français, à commencer par les États-Unis d'Amérique qui pompent l'essentiel des capitaux. Et les pays émergents s'avèrent capables de produire bien des marchandises de qualité supérieure à moindre coût.

On attend donc que la caserne de pompiers se transforme en club de réflexion. Les dirigeants européens pourraient analyser ce monde nouveau et envisager des transformations possibles. Pour commencer, le retour à l'équilibre budgétaire est une nécessité pour retrouver les marges indispensables à l'investissement privé : l'austérité, c'est-à-dire l'équilibre, est un préalable à la croissance. Ensuite, il convient de restaurer la capacité entrepreneuriale : à ce jour, dans la plupart des pays d'Europe, y compris en Allemagne, créer une entreprise est un cauchemar, gérer des effectifs en fonction des besoins de la production est presque toujours illégal. Parce que la démographie est orientée à la baisse, l'Union européenne devra, soit importer de la main-d'oeuvre par une immigration choisie (modèle canadien), soit allonger la durée du travail pour les hommes et plus encore pour les femmes. Enfin, pour reconquérir une avance sur les pays émergents, il faudra investir dans les ressources intellectuelles : les grandes universités d'Amérique du Nord en ce moment, se mondialisent et s'associent aux entreprises ce qui permet aux États-Unis de rester le premier dépositaire de brevets, devant l'Europe et le Japon, très loin devant la Chine ou l'Inde. Les brevets d'aujourd'hui sont les produits de demain. Les membres de l'Union européenne auraient la possibilité de s'adapter à ce nouveau monde si l'analyse en était faite, l'explication fournie en clair aux opinions publiques et les institutions communes adaptées en conséquence. La seule menace existentielle contre l'Union européenne est l'absence d'énoncé des faits.

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