Avec quelques décennies de recul, on voit mieux la vision que Pierre Elliott Trudeau proposait aux Québécois.

Voyant l'effervescence qui se manifestait au Québec autour de la volonté d'émancipation et d'affirmation collective, il invitait les Québécois à l'exprimer à une échelle plus étendue. Ils pourraient s'y faire valoir davantage en affrontant des défis d'une plus grande envergure et une compétition plus serrée. Il les invitait à évoluer sur une patinoire plus grande (ou, en termes moins affables, à faire leurs preuves dans une grande ligue...). En somme, il s'agissait d'agrandir le nouveau rêve québécois en le déployant à l'échelle du Canada, comme plusieurs de nos ancêtres avaient souhaité le faire (notamment avec le projet des deux peuples fondateurs).

L'idée ne manquait pas d'attrait et plusieurs Québécois talentueux se sont laissé séduire, convaincus qu'ils allaient eux aussi oeuvrer à l'avancement des « nôtres », et d'une façon encore plus déterminante peut-être. Il ne manque pas de similarité entre cette perspective qu'ouvrait le Canada à l'époque et celle que projette aujourd'hui la mondialisation. Ils sont nombreux, en effet, les jeunes Québécois qui se font valoir à travers le monde, motivés par l'idée qu'ils s'affirment comme Québécois là où la compétition est la plus dure.

Mais Pierre Elliott Trudeau a fait deux erreurs. D'abord, il a mal évalué le néo-nationalisme québécois. Il le croyait encore ancré dans l'ancien nationalisme qu'il avait bien connu et détesté. Son discours a souffert de cette ambiguïté en réduisant substantiellement son attrait. D'un côté, il voulait promouvoir à sa façon (certains diraient « détourner ») le rêve québécois, mais de l'autre, il s'en méfiait et le combattait durement. La seconde erreur a consisté dans sa vision trop individualiste de la société. Il croyait qu'en faisant appel aux plus doués et en leur promettant la réussite, il se dispenserait de parler au peuple et à la nation.

À la différence de son père, Justin Trudeau bénéficie présentement d'un incroyable concours de circonstances pour rebrasser les cartes avec le Québec. Tous les astres semblent alignés : le Parti libéral, sous monsieur Couillard, est profondément fédéraliste, plus que jamais dans l'histoire récente de ce parti. Le nationalisme québécois s'est affadi et le PQ est en perte de vitesse - au mieux, en reconstruction. Plusieurs jeunes se désintéressent des vieux combats de la patrie et de nombreux nationalistes, vétérans des tranchées, semblent baisser les bras. La mondialisation a distrait des énergies autrefois entièrement investies dans la nation. Le Parti libéral fédéral est en pleine renaissance sous l'égide d'un jeune chef déjà immensément populaire, etc. 

Il est rare qu'un leader politique canadien ait bénéficié de conditions aussi favorables. Mais qu'en fera Justin Trudeau ?

On imagine le discours que Justin Trudeau pourrait tenir : mettons fin aux querelles stériles qui immobilisent le Québec, repartons sur de nouvelles bases, unissons-nous face aux grands défis planétaires, présentons un front commun dont chacun tirera profit, que les Québécois soient présents dans le nouveau Canada qui se construit, et ainsi de suite.

Mais nous ne savons rien de l'homme, ou si peu. Quelles sont ses convictions profondes? Quelle est sa capacité à gérer des conflits, à prendre des décisions difficiles, à diriger un pays ? Et surtout, que pense-t-il du Québec ? Jusqu'ici, il a navigué sur une mer d'huile. Il a passé haut la main le test de l'image et il a fait ses premiers pas en prenant le contre-pied de l'ère Harper. C'était le bout facile. Mais la suite ?

Une grande partie de la réponse à cette question se trouve entre les mains de Justin Trudeau. Il pourrait changer substantiellement la trajectoire politique du Québec, au moins pour un temps. À moins que le nationalisme québécois se redéfinisse rapidement une voie.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion