Je n'ai développé que sur le tard une sensibilité aux problèmes d'environnement. Mais une fois alerté, j'ai fait mes devoirs en assimilant les informations de base sur les enjeux, les urgences et les résistances. Et comme la plupart des citoyens, je me suis appliqué à modifier mes comportements. En somme, j'ai progressivement intériorisé une sorte d'éthique environnementale.

J'ai donc vivement réagi en apprenant que la Ville de Montréal allait déverser dans le fleuve une énorme quantité d'eaux pudiquement qualifiées d'« usées » - mais nous comprenons de quoi il s'agit, les télés ayant suffisamment diffusé les images de la soupe immonde dont on allait disposer.

Quoique n'étant pas spécialiste, je me permets de croire que, dans le traitement de ce dossier, trois erreurs ont été commises qui pourraient avoir des conséquences néfastes et durables. Trois erreurs, et trois sources d'irritation.

ERREUR 1

Pourquoi avoir tant attendu avant de nous informer ? Depuis au moins un an, sinon davantage, les responsables savaient ce qui s'en venait. Ont-ils pensé que la chose passerait inaperçue ou que, devant le fait accompli, la réaction du public s'émousserait grâce à la magie des communicateurs ? Si c'est le cas, c'est raté. L'incurie des gestionnaires est ici mise à nu. En un an, ils auraient eu le temps d'expliquer aux Québécois (car l'affaire déborde le cadre montréalais) les contraintes qui imposaient une solution aussi radicale. Même moi, j'aurais fini par comprendre.

Mais j'aurais peut-être compris aussi que ce dénouement était prévisible depuis bien plus longtemps, ce qui m'aurait fait mieux voir encore l'indigence de certains gouvernants.

ERREUR 2

Des responsables, et même des environnementalistes, nous ont expliqué, peut-être avec raison (comment savoir ?), en tout cas avec beaucoup d'assurance, que ce déversement massif d'ordures était finalement peu de chose. Le fleuve, qui en a vu bien d'autres, avalerait tout cela sans problème. En d'autres mots, « y a rien là ».

C'était gravement se méprendre. Ces intervenants semblent ignorer que le combat pour l'environnement a largement porté ses fruits, que des années de sensibilisation ont créé dans la population une conscience très vive du rapport au milieu, que plusieurs citoyens en ont même fait une quasi-obsession. On s'indigne aujourd'hui de trouver dans un sentier forestier une petite bouteille de plastique abandonnée ; on se scandalise d'un automobiliste qui jette à la rue un mégot de cigarette ou un papier-mouchoir ; on s'évertue à bien séparer ce qui doit aller dans le bac bleu, le bac vert, le bac brun, etc.

Et voilà qu'on nous reproche de nous énerver parce que des milliards de mètres cubes de merde s'en iront polluer les eaux du fleuve alors que jusqu'ici, un citoyen se serait trouvé profondément embarrassé d'être pris en flagrant délit d'uriner sur ses berges.

Je dis bien : jusqu'ici. Mais à l'avenir ? Les sentiments qui se répandent maintenant chez des gens comme moi, c'est d'abord l'étonnement, la perplexité, puis la désillusion, le cynisme même, et enfin la colère. Le discours moralisateur sur l'environnement était donc frelaté, on nous aurait trompés ? Et cette culpabilité qu'on s'est employé à nous inspirer était donc exagérée ? Voilà ce à quoi les gestionnaires et certains experts n'ont pas songé en nous enjoignant de nous calmer. La prochaine fois qu'ils crieront au loup, comment allons-nous réagir ?

ERREUR 3

Le plus navrant, c'est qu'on ait cru banaliser ce déversement en nous informant bien calmement qu'il y avait eu de nombreux précédents récemment au Québec et que la chose se poursuit - pourquoi donc toute cette agitation ? Là, j'ai attendu la montée furieuse aux barricades des mouvements écologistes. Elle n'est pas venue. C'est ici que j'ai décroché.

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