Dans la foulée de la controverse autour du «franglais» et de Mommy, de Xavier Dolan, un nouveau débat sur la qualité de notre langue s'est ouvert. On en parle de plus en plus dans les médias, sans susciter de réactions indignées.

Il faut rappeler que, dans le passé, ce genre de débat s'est heurté à une contradiction qui siège au coeur de notre rapport à la langue française. D'un côté, on en fait l'élément principal de notre identité, on la place au centre de nos combats. Néanmoins, au cours des dernières décennies, il était risqué d'aborder le thème de la qualité de la langue. Ceux qui l'ont fait se sont souvent heurtés à des réactions très négatives. C'est l'angle mort du français québécois.

Concilier identité et qualité

L'initiative du chansonnier Georges Dor est éloquente. Il avait cru s'épargner un procès d'élitisme en présentant un plaidoyer de nature sociale: les personnes qui ne maîtrisent pas le français souffrent d'un handicap professionnel qu'elles transmettent à leurs enfants. Peine perdue; les trois ouvrages qu'il a publiés, entre 1996 et 1998, ont été mal reçus.

Au temps de la Survivance, il en allait autrement. Pour les élites nationalistes, nourrir l'identité nationale et promouvoir la qualité du français relevaient du même combat. Les deux volets se trouvaient réconciliés par le «haut», si on peut dire.

Avec la Révolution tranquille et la querelle du joual, ces deux trames se sont dissociées, devenant inconciliables. La position contradictoire de la revue Parti pris est remarquable de ce point de vue: on y trouve à la fois une condamnation du joual, langue «dégénérée», et une apologie qui en faisait le coeur de l'identité.

La déchirure s'est maintenue et, chez plusieurs, le dossier de la qualité de la langue est devenu une sorte de tabou.

L'argument du colonialisme

Selon une vieille thèse, notre langue est effectivement de piètre qualité, mais il faut surtout en accuser le colonialisme britannique. La langue du dominant a dévalorisé celle du dominé, d'où sa dégradation. Le jour où les Québécois accéderont à la souveraineté, notre langue va s'épanouir, comme le reste.

L'idée a son mérite, mais elle appelle des réserves. D'abord, elle est trop commode, rejetant sur l'Autre la responsabilité de ce que l'on reconnaît comme une tare. Deuxièmement, on comprendrait que, colonisés, les Québécois se soient montrés ouverts aux anglicismes.

Mais le joual, c'est plus que les anglicismes. C'est aussi l'appauvrissement du vocabulaire, la déformation de la syntaxe, l'incohérence du discours et le relâchement de l'élocution - c'est cela qu'après bien d'autres, le frère Untel dénonçait à partir du Lac-Saint-Jean. À cette liste, il faut ajouter: la survivance de l'ancien français et toutes nos inventions langagières. Tout cela serait dû au colonialisme? La question est plus complexe.

La fin de l'angle mort?

D'une façon inattendue, une seconde réconciliation est peut-être en cours avec les nouvelles formes du «franglais». Comme au temps de la Survivance, la contradiction entre identité et qualité semble devoir s'effacer. Cette fois, cependant, le raccordement s'effectue par le «bas»; les élites ne sont plus dans le coup. Le prix de la nouvelle alliance: on renonce à la qualité. Avec le «franglais», elle est remplacée par des critères inspirés d'une recherche de l'authenticité, de l'efficacité dans l'expression et de l'adaptation à la mondialisation.

Cette tendance a un effet positif: elle est tellement iconoclaste qu'elle nous affranchit du tabou qui pesait sur la langue. Nous allons peut-être maintenant pouvoir conduire plus sereinement le débat sur la qualité et l'avenir du français québécois.

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