On a bien raison de répéter que nous sommes tous aujourd'hui Charlie. Qui n'est pas atterré par le crime qui vient d'être perpétré? Et qui ne s'inquiète pas de l'avenir des rapports entre les musulmans et les autres membres des sociétés d'accueil où ils sont établis en Occident? Plus précisément: quel sera à court et à moyen terme l'héritage de cet événement?

Certains se sont demandé si les journalistes de Charlie Hebdo ne porteraient pas une part de responsabilité dans ce qui vient d'arriver. Il me semble déplacé de poser cette question en ce moment. Quoi qu'on en pense, il y a une disproportion choquante entre le style provocateur qu'on pourrait reprocher au journal et la violence de l'attaque.

Au-delà de la blessure qu'elle inflige aux proches des disparus et des conséquences qu'elle risque d'entraîner pour la liberté de presse, ce qu'on doit surtout retenir de cet attentat, c'est ce qu'il va apporter à la mécanique de l'escalade. Un tel engrenage se met en marche lorsque les partis qui s'affrontent ont tous d'excellentes raisons d'orchestrer une réplique en mode de surenchère. Parmi ces raisons, il y a souvent le sens du devoir, de l'honneur à sauvegarder, ce qui fait que la riposte est toujours vertueuse. Or, lorsque cette mécanique s'enclenche, on ne sait plus comment l'enrayer.

Un combat inégal? 

Ce qui choque aussi, c'est que ce combat est inégal. Chez les terroristes islamistes, une foi débridée non seulement autorise, mais impose les actes les plus violents qui soient. De l'autre côté se trouvent des sociétés de droit tenues de traiter équitablement tout être humain. Il y a ici une autre disproportion, cette fois dans les règles du jeu. Mais cette disproportion nous fait honneur. Ce serait consacrer la victoire des terroristes si leurs crimes nous amenaient à relaxer nos règles pour épouser les leurs.

Il y a un autre visage de l'escalade. Il est à prévoir que ces crimes odieux vont maintenant nourrir la bonne conscience des esprits intolérants et xénophobes toujours prompts à étendre à l'ensemble des musulmans des fautes et des culpabilités qui sont le fait d'une minorité.

Il faudra donc garder la tête froide, c'est-à-dire: se prémunir contre les généralisations excessives, réprimer la tentation de la vengeance, rester fidèles aux règles de droit qui s'appliquent à l'ensemble des citoyens, et surtout éviter de se laisser guider par des stéréotypes malveillants qui finissent par empoisonner la vie de toute une société.

Le débat québécois 

Notre gouvernement s'apprête à rouvrir le débat sur l'aménagement des rapports interculturels et sur la place de la religion dans notre société (deux projets de loi sont présentement en préparation, l'un au ministère de l'Immigration, Diversité et Inclusion, l'autre au ministère de la Justice). Il sera évidemment impossible de conduire ce débat sans avoir à l'esprit ce qui vient de se produire à Paris. Il y a là en effet des leçons à tirer pour tout le monde.

Mais nous serions mal inspirés d'orienter notre réflexion en fonction de cette référence. La situation du Québec n'est pas celle de la France. La violence qui s'est manifestée chez nous récemment ne revêt pas la même ampleur et ne procède pas des mêmes sources. Il faut aussi garder à l'esprit la bonne qualité des rapports que notre société entretient avec les immigrants musulmans. Ce serait faire preuve d'une grande irresponsabilité que de les compromettre par des initiatives mal inspirées. Les clivages sont faciles à creuser, difficiles à réparer. L'escalade est la pire ennemie.

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