Mesdames Bertrand et Filiatrault, sauf votre respect, autant pour votre contribution au combat féministe que pour votre dévouement à la culture, vos derniers propos sur les femmes voilées étaient méprisants et fort décalés de la réalité des musulmanes québécoises.

L'étroitesse d'esprit de certaines implique qu'il n'y aurait qu'un féminisme, une manière de l'appliquer et une manière de le défendre. Si certains hommes se sont approprié la religion dans le passé, ce sont aujourd'hui de nombreuses femmes qui se la réapproprient. C'est ce que j'appelle le féminisme religieux.

Je suis musulmane, voilée, maquillée et habillée selon les dernières tendances; en gros, je ne cadre dans aucun modèle. J'incarne le paradoxe des nouvelles générations. Et presque tous les jours, je dois faire face aux commentaires désobligeants, tantôt accusée d'être trop émancipée, tantôt accusée de ne pas l'être assez.

Que vous le croyiez ou non, les femmes voilées qui assument pleinement leurs choix sont nombreuses. En fait, ce n'est plus la burqa qui dérange, non, c'est l'esthétisme de certaines qui, aux dires de plusieurs, représenterait la nouvelle menace. Des sirènes de l'islamisation qui ensorcèleront des victimes potentielles par leur beauté afin d'en faire des futurs adeptes.

Malgré tous les efforts de la femme musulmane pour faire valoir sa liberté individuelle et son autonomie morale, elle reste perçue comme une misérable menace.

En effet, depuis les fuites au sujet de la Charte des valeurs québécoises, le débat s'est métamorphosé pour finalement dévoiler son bouc émissaire: le voile.

Au départ, le débat concernait tous les symboles religieux et l'argument de base consistait en la neutralité de l'État. Puis, de la neutralité de l'État, nous sommes passés au prétexte de l'égalité homme-femme. Sournoisement, cet argument est surtout utilisé pour dénigrer le voile. Nous ne nous sommes pas attardés aux nombreux signes religieux portés par les hommes et femmes des autres confessionnalités tels que le bindi chez les hindoues ou la perruque et la jupe/robe chez les juives.

Ainsi, l'hypocrisie de l'argument révèle que l'association faite entre la menace du principe égalitaire et les symboles religieux est boiteuse. D'autant plus que les propos grossiers que vous avez prononcés, Mme Filiatrault - entre autres votre «fuck off» et «ce sont des folles» - démontrent que le débat s'est rabaissé à un niveau dangereux ou non seulement il est permis de promulguer des propos réducteurs et humiliants envers un groupe de femmes, mais que cette humiliation est imposée à des femmes par des femmes.

La révolution qu'ont menée les femmes au Québec est certes noble, mais n'oublions pas un de ses piliers fondateurs: la liberté de choix. Aujourd'hui, malheureusement, on départit la femme musulmane de ce droit, soit celui de décider ce qu'elle aspire à faire de sa vie et de son corps.

Mme Bertrand, vous dites craindre d'être servie par une médecin voilée, car vous vous diriez «d'un coup, dans sa religion, on laisse partir les vieux plus vite» ? C'est démontrer une grande ignorance de la religion que de faire cette insinuation.

Sachez qu'en tant que psychoéducatrice, je traite tous les enfants également. Soyez aussi assurée, je n'ai jamais été une menace, au contraire, j'ai trop souvent été une victime.

Je me souviens encore au primaire d'une enseignante d'éducation physique qui, s'opposant à mon hijab, m'avait étouffé avec mon voile. Et c'est un peu ce que vous faites aujourd'hui; vous prétendez vouloir nous tendre la main tandis que vous contribuez à cet étau qu'on tente de resserrer sur les femmes voilées, juste assez fort pour qu'elles s'étouffent.

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