«Tu as des préjugés, toi?» L'accusée plaide coupable, votre honneur. Je suis coupable d'être tombée dans un piège que je dénonce haut et fort. D'avoir fait subir à une femme ce que je trouve moi-même difficile dans mon quotidien.

Discrètement, elle marchait portant sa longue tunique noire et son visage couvert. Suivant quelques regards de ma part, je chuchote à mon amie: «Regarde, je trouve cela triste, non?».

Mon amie, surprise de m'entendre: «Toi? Musulmane, portant le hijab, fervente militante au droit à la différence? Toi, Elsy, tu as des préjugés?»

Non! Les miens sont justifiés. Ça saute aux yeux, cette femme vêtue d'un niqab a l'air triste! Regarde, elle... elle est en Thaïlande, en voyage avec sa famille, en train de faire exactement la même chose que moi: prendre des vacances.

Nous sommes bien loin d'un Afghanistan où la femme est confinée à son domicile. Loin d'une Arabie où la femme n'a pas le droit de conduire. Nous sommes en Thaïlande où deux femmes partagent le même moment et l'une fera preuve de mépris à l'égard de l'autre, la condamnant de son regard.

D'ailleurs, parlons-en de ce regard. Mon propre quotidien de femme voilée est devenu, malgré lui, l'ami intime du regard des autres. Les têtes qui se tournent à mon passage telle une bête de foire dans la foule. Ces yeux qui scandent «Pauvre femme, regarde son mari, il se baigne lui» m'ont fait rayer de ma liste d'activités tout ce qui s'apparente aux parcs aquatiques et aux plages. L'épuisement causé par cette sensation d'être constamment épiée et par ces yeux qui, semblant éprouver à tort de la pitié, aura eu raison du plaisir que j'y trouvais.

Même mon conjoint, à nos débuts, m'a confié ne s'être jamais autant senti observé. Chéri, tu devras te faire à l'idée! Dorénavant, tes comportements seront épiés et plus jamais tu ne seras qu'un simple homme à mes côtés, tu seras baptisé «le mari d'la musulman». Il te faudra adopter un régime strict de comportements publics afin de convaincre la planète que ta femme est heureuse, qu'elle n'est ni maltraitée ni n'a été forcée de t'épouser.

Pour en revenir à cette femme en Thaïlande, mon amie m'a fait réaliser que j'étais en train de lui faire vivre ce que j'avais moi-même beaucoup de difficulté à endurer dans mon quotidien: la condamnation hâtive. Je venais d'inventer l'échelle de mesure du bien-être psychologique basé sur l'habillement. En fait, elle et moi partagions les mêmes activités et étions toutes deux victimes des regards d'autrui. Pourtant, j'étais là à lui faire vivre doublement cet échafaud.

Aujourd'hui, je plaide coupable d'avoir manqué à l'éducation que ma mère a si soigneusement pris la peine de me transmettre: «Ne regarde les gens que pour les rendre heureux, leur sourire, sinon, évite de les dévisager, c'est malpoli.» La différence d'une personne ne nous donne pas le droit de négliger les notions de base du savoir-vivre.

Je suis désolée, chère dame que je ne connaissais pas, de vous avoir ainsi guigné en pensant que mon regard, tel un rayon X, vous serait complètement invisible. Mea culpa. Car moi, mieux que quiconque, sait que chaque regard rempli de jugements nous atteint au plus profond de nous-mêmes.

Concitoyens québécois, je le concède, des préjugés, nous en avons tous. Face à l'inconnu, nos réactions sont multiples et souvent hâtives, mais il demeure important d'en prendre conscience et de ne pas sous-estimer l'ampleur de leur portée. Le grand vice est de se satisfaire de nos préjugés par un mécanisme fort abusé: le déni.

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