«Intègre-toi ou retourne chez vous, tabarnak»... 25 années se sont envolées depuis mon arrivée au Québec et je suis toujours perturbée par cette phrase.

Perdre mon accent, chanter du Cowboys fringants, danser la bastringue, décorer un sapin: voici quelques-unes de mes actions qui, malgré leur appartenance à la culture populaire, ne semblent pas faire de moi une Québécoise à part entière. La démonstration de mon appartenance à la Belle Province semble effroyablement résider dans ce dangereux hijab qu'il faut inévitablement neutraliser à l'aide d'une charte.

En adoptant le Québec, ma famille, comme des dizaines de milliers d'immigrants, rêvait d'un lieu où les différences coexistent dans la richesse et l'humanisme. L'immigration de masse est une réalité aujourd'hui difficilement contournable. À elle seule, notre province détenait une moyenne annuelle de 51 088 nouveaux arrivants entre 2008 et 2012. Sachant que 16,6% des immigrants sont originaires d'Afrique du Nord et considérant l'islam comme étant la principale religion au Maghreb, il va de soi qu'un flux migratoire métamorphose la mosaïque québécoise.

De ce fait, et puisqu'une société démocratique a le devoir d'inclure tous les acteurs concernés par les processus décisionnels, il est inconcevable de faire fi des nouvelles réalités et encore moins, de dire à une personne au pays depuis 30 ans: «Le citoyen de seconde zone, tasse-toé le temps qu'on règle nos histoires».

Certes, il nous faut des balises là où des actes butent concrètement notre système de valeurs. Par exemple, pourquoi accommoder un homme qui refuserait de se faire servir par un employé de sexe féminin? Ces accommodements contreviennent aux valeurs de la société québécoise basée, entre autres, sur l'égalité homme-femme.

En contrepartie, forcer une femme à faire un choix entre sa foi et son emploi n'est pas le reflet d'une société ouverte. L'affirmation identitaire d'une société ne peut se faire au détriment d'une autre ou dans la stigmatisation et l'exclusion de certaines femmes et certaines communautés.

Inévitablement, cette charte mènera au dérapage. Ce projet s'attaque directement aux immigrants pour qui l'emploi assure un contact direct avec la société d'accueil. Comment espérer faire évoluer les mentalités en bloquant l'accès à la pluralité? Ou pire, en envoyant le message que notre société est frileuse à l'idée de voir la différence? La discussion, un pactole permettant d'élargir les horizons, sera-t-elle dès lors menacée par la question identitaire?

Par ailleurs, une loi, à elle seule, suffira-t-elle à définir l'identité québécoise, limiter l'intégrisme, garantir la neutralité de l'État, promouvoir l'égalité homme-femme, le tout, en assurant l'accès à l'emploi aux minorités visibles et le respect des deux chartes des droits de la personne?

En plus de son irréalisme, cette charte frôle étroitement les mentalités des extrémistes. Ces derniers, qui jubilent à l'idée d'isoler les femmes du monde extérieur, seront comblés par le blocus que nous imposerons à celles-ci. Et bonjour la ghettoïsation! Puis si le voile cause un malaise chez certains, ce n'est assurément pas dans la chevelure que nous trouverons solution aux maux dont la société souffre.

Compatriotes québécois, posez-vous la question suivante: la menace identitaire est-elle une préoccupation fondée sur des faits ou plutôt un jugement biaisé par la peur d'une supposée «islamisation» qui, telle un virus, s'attraperait à la vue ou à la rencontre d'une femme voilée?

En attendant, espérons que ce débat s'estompera de lui-même lorsque toutes les têtes emmitouflées se ressembleront en hiver. Et comme le disent si bien Les Cowboys fringants dans leur chanson En berne: «L'environnement, la pauvreté/Ç'pas des sujets prioritaires/On n'entend pas beaucoup parler derrière les portes des ministères/Si c'est ça l'Québec moderne/Ben moi j'mets mon drapeau en berne/Et j'emmerde tous les bouffons qui nous gouvernent...»

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