Depuis quelques semaines, La Presse manie abondamment le stéthoscope pour ausculter les coins et recoins de notre système de santé. C'est une excellente chose. La santé est toujours en haut de la liste des préoccupations des Québécois.

Notre dispositif public a changé la vie des familles en garantissant, indépendamment de l'état de fortune, l'accès à des services de santé en fonction des besoins médicaux de chacun. Ces programmes redistribuent de façon importante et significative la richesse, comme ils contribuent à plus d'équité sociale.

On a trop souvent l'impression qu'ils ne bougent pas et qu'ils sont installés à demeure dans le paysage. Rien n'est plus faux. Il y a 30 ans, nous payions sur une base individuelle 20% des coûts globaux de santé. Aujourd'hui, nous assumons sur cette base 30% de la facture. C'est beaucoup en trois décennies. C'est même beaucoup plus que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Exit ce préjugé tenace voulant que nous vivions dans un système public blindé, arrivé tout droit de l'ère soviétique!

Le rôle de la presse est capital pour soutenir le débat citoyen et attirer l'attention sur les changements qui s'opèrent en douce. J'ai particulièrement apprécié les articles de Gabrielle Duchaine sur le boom de la médecine privée. La journaliste s'est astreinte à un travail de moine pour repérer les cliniques privées, alors que ces informations, pourtant névralgiques, semblent échapper au ministère de la Santé. Seule source officielle, les données de la Régie d'assurance maladie qui relatent 262 médecins non participants au régime public sur quelque 18 500 médecins en avril 2013.

La saignée peut sembler modeste, mais la vitesse avec laquelle elle s'opère doit sonner l'alarme. En 10 ans, le désengagement a plus que quadruplé, passant de 60 médecins à 262. La privatisation ne peut s'imposer par la grande porte, compte tenu de l'attachement de la population au régime public. Pour avancer, elle doit agir sournoisement en empruntant des voies de travers. Gare aux chemins sinueux!

Le ministre de la Santé se montre inquiet et semble disposé à revoir les règles entourant le désengagement. Il semble déterminé à s'attaquer au jeu de commis voyageur de ceux qui, sur un avis de 30 jours, migrent allègrement du public au privé et vice versa. C'est très bien. Contrairement à d'autres provinces canadiennes qui ont déjà eu à s'en défendre, le Québec avait pris jusqu'ici peu de mesures. Mais nous devrons aussi comprendre ce qui cause cet engouement récent pour mieux agir.

Les causes sont sûrement multiples, mais je ne peux oublier la décision de Philippe Couillard de faire adopter la loi 33 en 2006. Cette loi disait vouloir répondre au fameux jugement Chaoulli, qui sommait le gouvernement de régler les listes d'attente pour certaines chirurgies. L'occasion était trop belle et le ministre s'est empressé de créer des CMS type Rockland MD pour effectuer des interventions alors réservées au secteur public.

On connaît les conséquences sur la flambée des coûts et sur les pénuries de main-d'oeuvre qui affligent le public en cette période de rareté. On a beau vouloir former plus de médecins et d'infirmières, il ne faut pas les perdre au profit du privé.

Ce jeu de vases communicants est dangereux. Il introduit une médecine à deux vitesses, qui laissera aux plus pauvres et à la classe moyenne une bien pauvre médecine. Je me refuse à vivre dans une société où le porte-monnaie dictera l'ordre des listes d'attente.

Et la liste des problèmes éthiques s'allonge encore plus, quand la journaliste nous apprend que certaines de ces cliniques privées appartiennent à des distributeurs de produits pharmaceutiques. Alerte: on nage ici en plein conflit d'intérêts!

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