Il arrive que des gens viennent me voir pour me remercier d'être ce que je suis. Que voulez-vous ? Même si nous ne sommes pas aussi essentiels qu'une enseignante ou un médecin, la vie des personnalités connues est remplie de ces gratitudes inattendues et parfois inexplicables.

Chaque fois que ce compliment m'est adressé, je réponds : « Eh bien, je ferai le message à ma mère qui m'a beaucoup donné ! » Elle m'a enseigné à tendre la main et à garder le sourire.

Maman m'a toujours dit que souvent, bien plus que les médicaments, la main tendue vers l'autre est le remède miracle pour l'être humain.

Si je dévie les gratitudes des gens à mon égard vers ma mère, c'est parce que je partage avec elle le fin fond du trognon de ma vie. Faire un enfant, dit ma mère, c'est accepter qu'une partie de notre coeur se sépare de notre corps et marche à côté de nous pour toujours.

Je sais que ça peut être ennuyant d'entendre parler, encore, de la famille, mais je voudrais, en cette fête consacrée aux mamans, vous parler de ma maman, que je porte dans mes cellules.

Ma mère n'a pas été maternée, car ma grand-mère maternelle est décédée alors qu'elle n'avait que quelques mois. Les rares fois où j'ai entendu maman, orpheline de naissance, raconter son enfance, elle évoquait la méchanceté de sa belle-mère, qui n'hésitait pas à donner à ses propres enfants la meilleure part de la maigre pitance que son papa rapportait à la maison.

Même si elle a toujours refusé d'ouvrir cette valise, on devine aisément qu'elle faisait partie de ces orphelines maltraitées qui abondent dans les contes populaires.

Je ne suis pas psychologue, mais je crois que ce triste passé a amené ma mère à vouloir sauver tous les enfants de la terre. Ma soeur et moi avons calculé dernièrement que ma mère, en plus d'avoir élevé ses neuf enfants, a pris soin d'au moins vingt autres enfants.

Encore aujourd'hui, dans le deuxième lit de sa chambre dorment des enfants dont elle s'occupe. Maman y garde un litte de spare, comme on dit par icitte, pour ceux qui atterrissent dans ses bras ; de la marmaille qu'elle élève, fait entrer à l'école et soutient. Certains ont fait des études supérieures et ont fondé des familles heureuses. Évidemment, tous gardent des liens particuliers avec elle. À 80 ans, elle porte encore sur son dos bien ridé les bébés des autres pour les calmer.

Quand je retourne au Sénégal, ma vieille maman me demande toujours si j'ai apporté un peu d'argent avant de me conseiller de profiter de la soirée pour aller saluer quelques familles du quartier. C'est sa façon de m'inviter à donner quelques billets de banque aux gens dans la précarité, de profiter de la discrète poignée de main nocturne pour glisser un billet dans la paume de l'autre.

Après ma tournée nocturne, maman me répète sa leçon de vie, devenue le mantra de mon existence : « Lorsque que tu seras confronté à l'adversité, Boucar, ce sont les prières, les souhaits et les bonnes intentions de ces gens à qui tu as réchauffé le coeur qui se transforment en un robuste bouclier pour te protéger. »

Maman, je sais que tu ne liras jamais ce texte parce que tu es analphabète, mais je profite quand même de cette fête des Mères pour te souhaiter un bon 80 ans.

Et je te remercie de m'avoir dit, quand tu as vu Caroline, en Afrique, que j'avais trouvé la femme qu'il me fallait. En fait, comme tu as toujours pensé que j'étais un brin désaxé, tu m'avais dit que j'avais trouvé une personne à la hauteur de ma folie. Tu avais encore raison !

En quelques années, j'ai agréablement appris avec elle tout ce que je devais savoir sur l'égalité des sexes. Je partais pourtant de loin parce que les seules fois où j'ai vu mon père entrer dans une cuisine, c'est parce qu'il s'était trompé de porte.

Bonne fête aux mamans qui ont porté leurs enfants dans leur ventre et aux mamans adoptives qui ont porté leurs enfants dans leur coeur. Et qui les portent encore. Merci d'être ce que vous êtes, mères aux francs coeurs, merci pour ce que nous sommes et pour ce que nous serons.

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