J'aurais bien voulu vous parler directement de ce fameux contrat de vente d'armes entre le Canada et l'Arabie, mais je préfère remonter dans l'histoire et emprunter un chemin de contournement.

Je vais retourner entre 1979 et 1992 quand, désireux de faire vivre à l'URSS son propre Vietnam, la CIA arme, avec la complicité du Pakistan, les moudjahidines pour contrer l'invasion de l'Afghanistan par l'Armée rouge, encourageant du même coup des combattants extrémistes venus des quatre coins du monde musulman à aller à la chasse au Soviétique.

Des milliers d'islamistes convergent alors vers l'Afghanistan, un peu comme ces jeunes Occidentaux d'aujourd'hui prennent l'avion pour aller faire le djihad.

Cette intervention indirecte favorise la montée en force des talibans. Les mêmes que l'Amérique retournera traquer en 2001 après les attentats du 11 septembre signés Oussama ben Laden, lui-même un ancien allié dans la guerre afghane qui avait retourné sa veste contre le Yankee.

Pour se débarrasser de ben Laden et sa bande, les États-Unis retournent avec leurs alliés combattre les mêmes extrémistes, qui utilisaient encore ces armes américaines arrivées par le Pakistan. Puis, sous un faux prétexte de recherche d'armes de destruction massive, ils retournent aussi en 2003 avec leurs amis britanniques pour chasser leur ancien copain Saddam Hussein du pouvoir. Le même qu'ils avaient aussi armé et soutenu contre l'Iran pendant huit années de guerre très meurtrière.

C'était le 17 septembre 1980. Profitant de la chute du shah d'Iran et de l'embargo américain sur les livraisons d'armes consécutif à la crise des otages, Saddam Hussein déclare la guerre à l'Iran pour régler de vieux contentieux frontaliers et répondre à la rhétorique révolutionnaire de l'ayatollah Khomeiny, qui incitait les chiites d'Irak à se soulever contre son régime. L'Amérique et certains de ses alliés lui fournissent de l'aide militaire, et les monarchies sunnites, dont le Koweït et l'Arabie saoudite, dans leur crainte d'expansion de la révolution iranienne, mettent la main à la poche. Or, en 1990, devant les demandes insistantes de remboursement de cette dette, Saddam, irrité et certain d'avoir le feu vert de l'ami américain, trouve un prétexte pour marcher sur le Koweït dont il convoitait le pétrole.

L'IRAK DEVIENT INFRÉQUENTABLE

Malheureusement pour lui, le Koweït a un grand-frère qui s'appelle l'Arabie saoudite, protégé par les États-Unis. En échange d'une sorte de carte blanche sur son or noir, le président Franklin Roosevelt avait paraphé, sur le chemin de retour de la conférence de Yalta, ce pacte de protection avec le roi Ibn Saoud en 1945. Alors, quand l'Arabie saoudite a lancé un cri de détresse, une coalition de 32 pays a fait reculer Saddam. Échaudées, les richissimes monarchies sortent les pétrodollars pour augmenter leur arsenal et les marchands d'armes tendent la main. Chassé du Koweït, l'Irak, autrefois ami, s'est retrouvé au côté de l'Iran au ban des nations infréquentables.

Récapitulons. Aujourd'hui, l'Irak est déstabilisé par les deux guerres américaines et pour ce qui est des droits de la personne, l'Afghanistan est resté inchangé après deux invasions. L'ancien président de la Syrie, Bachar al-Assad, dont Barack Obama demandait encore le départ en 2015, est devenu miraculeusement l'homme de la situation en Syrie. La Russie, qui jusqu'à récemment était infréquentable à cause de l'invasion d'une partie de l'Ukraine et l'explosion du vol MH17 de la Malaysia Airlines, est redevenue un allié incontournable. On se prosterne et fait des courbettes devant l'Iran réhabilité pour glaner des marchés, un peu comme le colonel Kadhafi, autrefois ennemi de l'Occident à cause de son implication dans l'explosion du vol 103 de la Pan Am au-dessus de l'Écosse en 1988, a été aussi réhabilité et accueilli en grande pompe en France en 2007 par Nicolas Sarkozy. Le même Sarkozy qui lancera les premières bombes sur la Libye lorsque le fils du colonel annoncera à la planète qu'il avait payé sa campagne électorale. Depuis, la Libye est devenue une terre sans loi, au grand dam des pays d'Afrique qui risquent d'être les prochaines grandes victimes du terrorisme. Mais ça, ce n'est vraisemblablement plus le problème de la France et de ses alliés.

TOUS À LA MÊME TABLE

Voilà le monde dans lequel les djihadistes sont nés. C'est un monde de mensonges, de trahisons, où les bons et les méchants, les amis et les ennemis mangent à la même table. Un monde où les alliés d'hier sont les ennemis d'aujourd'hui et les réhabilités de demain ; un monde ou seul l'argent fait et dicte l'acceptabilité ; un monde de cannibalisme économique ; un monde où les valeurs de liberté, de démocratie et d'égalité qu'on nous chante après chaque attentat s'évanouissent dans la nature et où on ferme les yeux pour mieux tolérer l'inacceptable devant les pétrodollars. Pensez au président italien qui a voilé les statues de nus du musée du Capitole, à Rome, pour s'attirer la faveur du président iranien Hassan Rohani, ou à la France qui décorait en secret le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed Ben Nayef. Que ne ferait-on pas pour sécuriser un marché de plusieurs milliards d'euros ? On peut vendre des armes à ceux qui traitent les femmes comme des objets, mais on s'insurge paradoxalement contre les créateurs de modes dites islamiques.

La morale de mon histoire est la suivante : l'Occident n'est pas l'unique responsable dans cette calamité terroriste, mais il n'est certainement pas l'axe du bien. Et si on veut lutter efficacement contre cette dérive sectaire islamiste, il faudra aussi un jour accepter de se regarder dans le miroir.

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