En dehors de la musique, de la nourriture et du culte de la consommation, les cultures se mondialisent peu. Elles se délocalisent, emportant avec elles les rêves d'identités nationales et d'allégeance unanime au drapeau. Je pense même que dans un futur pas lointain, les guerres se feront sur un front principal et des foyers secondaires.

Autrement dit, pendant que les deux nations belligérantes s'affronteront à leur frontière, les communautés issues des deux pays se battront à Londres, Paris ou Berlin. Un peu comme le dernier conflit entre Israël et le Hamas s'était déplacé dans les rues de la capitale française. Si l'Occident croyait que les cultures allaient se mondialiser, il doit aujourd'hui se rendre à l'évidence que le temps des immigrations symbiotiques est révolu.

La symbiose, c'est une intégration mutuelle de deux cultures qui fait qu'avec le temps, la deuxième génération, sans oublier la patrie de ses parents, s'enracine aussi intimement dans son pays de naissance. C'est une diversité culturelle précurseure d'un enrichissant brassage génétique et une identité hybride dans une nation bonifiée par les expériences et ces appartenances multiples. Cette vraie mondialisation ou intégration des cultures tant convoitée se mesure dans un pays donné par le nombre de mariages mixtes, et s'incarne seulement quand chacun accepte d'assimiler l'autre sans être assimilé, comme le formulait si bien le poète Senghor.

L'échec européen

En quelques décennies seulement, les nations occidentales qui rêvaient d'une immigration symbiotique sont devenues le siège d'un commensalisme qui, à mon avis, y fera de la gestion de la diversité culturelle la problématique principale de ce siècle. Ce que j'appelle du commensalisme culturel, c'est une cohabitation sans véritables interactions. Une coexistence où chaque groupe essaye de changer l'autre à son image pour ne pas avoir à changer. Le commensalisme culturel, c'est le résultat de cette crise de l'immigration dont la France et l'Angleterre sont de bons laboratoires d'études.

Dans un passé récent, ces deux pays ont amené de leurs anciennes colonies des immigrants avec peu de qualifications pour nettoyer leurs rues, vider leurs égouts et faire bien d'autres petits boulots que les locaux ne voulaient pas faire. Ils les ont ensuite parqués dans des bourgades et poussés vers une hermétique réclusion ethnoculturelle. Avec le temps, les problèmes sociaux ont transformé ces agglomérations en ce qu'on qualifie parfois en France de zone de non-droit.

Dans ces cités, qui sont les témoins aujourd'hui d'un échec à responsabilité partagée de l'intégration, les identités et appartenances sont devenues avec le temps si héréditaires que même des troisièmes générations s'identifient, ou se font injustement identifier par les «de souche», par le seul pays d'origine de leurs grands-parents. Ainsi, lorsque le jeune Mohammed Merah, né en France, a massacré 7 personnes à Toulouse et Montauban en 2012, des médias français ne se gênaient pas pour dire qu'il était Algérien. Ce qui a insulté, et à juste raison, bien des Algériens conscients que s'il avait gagné une médaille olympique, l'histoire aurait été racontée autrement.

Dans ces cités où la précarité, l'errance identitaire et la délinquance juvénile se tiennent la main, les chances de trouver des cas relevant de l'ethnopsychiatrie, que des fondamentalistes peuvent facilement convaincre que la réponse à leur questionnement existentiel se trouve dans l'extrémisme, deviennent réelles. Cette vulnérabilité induite par les problèmes sociaux, c'est ce que le philosophe Abdennour Bidar exprimait en ces termes: «On fait de ces gens ghettoïsés des proies pour des discours qui vont leur donner, a minima, la sécurité d'une religion communautaire. La seule chaleur humaine qui leur est laissée, c'est leur identité d'origine!»

Dans cette grande guerre que la France se prépare, à juste raison, à livrer à la radicalisation sur son territoire, de puissantes et vastes frappes préventives contre la pauvreté et l'exclusion sociale lui seraient d'un grand secours.

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