Nous transportons des héritages de notre lente évolution qui, très bénéfiques autrefois, nous prédisposent aujourd'hui au malheur. De ces legs biologiques qui ont permis à nos ancêtres lointains de survivre dans des environnements hostiles, il y a entre autres la peur, le stress, l'anxiété et ce visage à deux faces qui s'appelle l'insatisfaction. Cette brillante vision évolutionniste de notre prédisposition à la morosité existentielle est d'un professeur de psychologie américain nommée Michael Wiederman.

L'insatisfaction a poussé nos ancêtres lointains à se gratter continuellement le coco. Quand ils construisaient une hutte, ils rêvaient déjà le lendemain d'une case plus fonctionnelle et à toutes ces petites découvertes qui nous ont amenés aujourd'hui à vivre dans ces maisons sophistiquées qu'on cherche encore à améliorer. Le même patrimoine biologique expliquerait qu'encore aujourd'hui, la nouvelle Mercedes nous procure une dose de bien-être jusqu'à ce que notre corps craque devant un autre bolide plus prestigieux.

Une maison plus grande, une célébrité ou de l'argent à jeter par les fenêtres, prenez tout ce que voulez comme symbole de réussite sociale, et le corps semble programmé pour le banaliser un jour et rêver de nouveautés. Un constat qui semble donner raison à ma grand-mère qui pensait que même si l'argent est bien important dans notre vie, le bonheur acheté est souvent aussi volatile qu'un pet de lièvre dans une savane ouverte. C'est peut-être aussi pour cette raison que Boris Cyrulnik trouve plus réaliste de chercher une bonne heure que le bonheur ?

Cette recherche constante de nouveautés serait en partie responsable du développement considérable de nos capacités cognitives. Mais ce qui était hier un avantage pour nos ancêtres est devenu un boulet dans nos sociétés de consommation. Comment, en effet accéder à la satisfaction quand, à peine les clés du bungalow tant désiré dans la poche, notre être qui a soif de changement pense déjà à des rénovations, de nouveaux meubles, une piscine ou une deuxième résidence ? Si 1 % de la population mondiale a réussi à mettre la main sur 50 % des richesses sans être rassasiée, c'est parce qu'il est fréquent de chercher le bonheur sans le trouver, de le trouver sans le reconnaître et de le reconnaître sans être capable de le retenir.

Comme si l'insatisfaction n'était pas déjà un obstacle majeur, nous hébergeons une autre « fatalité » favorisant le mal-être. Dans notre physiologie, les circuits moléculaires du plaisir et de la satisfaction sont souvent couplés à ceux du manque et de la douleur. Autrement dit, bien des expériences plaisantes cachent des calvaires à venir. Tous les anciens adeptes de drogues ou de bonnes cuites vous confirmeront par exemple que le prix à payer au sevrage est trop douloureux pour le plaisir de souvent lever le coude ou de se geler la face. Même tomber amoureux peut se transformer en enfer quand la privation de l'autre se pointe sans avertir.

Jules Renard avait probablement raison, lui qui racontait que si on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d'attente. Heureusement, ce grand parloir où nous l'attendons tous est aussi rempli d'outils plus ou moins efficaces pour amoindrir la souffrance humaine : la spiritualité, la solidarité, la simplicité volontaire et la sagesse des anciens, dont celle de ma grand-mère que j'aime bien partager.

Lorsqu'un bébé venait au monde dans mon village, plus que la richesse et le succès, ma grand-mère lui souhaitait de la santé et de la compassion pour ses semblables. Le bonheur, disait-elle à quiconque voulait saisir le sens de son souhait, arrive par la famille, les amis et les autres auxquels on tend la main pour partager des avoirs, des joies et des larmes.

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