Les carpes asiatiques qui menacent maintenant les Grands Lacs ont été introduites dans les piscicultures du sud des États-Unis pour diminuer la prolifération des végétaux aquatiques. Aujourd'hui, le contrôle de cette population devenue indésirable se présente comme une titanesque et coûteuse entreprise. Un jour, il faudra également s'attaquer à l'explosion des coccinelles asiatiques, qui ont aussi été importées en Amérique dans les années 70 et 80 pour lutter contre d'indésirables pucerons dans les plantations d'amandiers.

Si je vous raconte ces histoires, c'est parce que le biologiste en moi a parfois l'impression qu'en écologie comme en géostratégie, en pensant agir au nom du bien, l'Amérique est souvent appelée à réparer le bordel qu'elle a créé quelques années auparavant. Après l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979, les Américains ont participé au financement de milliers de djihadistes étrangers qui sont allés combattre l'Armée rouge au côté des Moudjahidines du Peuple.

Aujourd'hui, un peu comme pour nos deux bestioles asiatiques, certains de ces extrémistes et amis d'hier sont devenus les ennemis à abattre en Irak, un pays dont le chaos social actuel doit beaucoup à l'impérialisme de l'Amérique et de ses alliés, souvent déguisé en projet de promotion des droits de la personne. Ces utopistes qui pensaient qu'il est possible d'exporter dans certains pays arabomusulmans, et d'y achever en un tour de main, cette démocratie que l'Occident a mis dans sa forme moderne plus de 200 ans à apprivoiser.

Est-ce que l'Irak d'aujourd'hui est plus enviable qu'au temps de Saddam Hussein? Est-ce que l'Égypte d'aujourd'hui est plus démocratique que celle d'Hosni Moubarak? Est-ce que la Libye d'aujourd'hui est plus prospère et égalitaire sans Mouammar Kadhafi? Plus qu'un objectif à atteindre à court terme, l'adhésion à l'exercice démocratique ne devrait-elle pas être l'aboutissement d'une route où chaque peuple avance à sa propre vitesse, selon l'ampleur des obstacles ethnoculturels à franchir?

Le débarquement programmé de 3000 soldats américains pour endiguer l'Ebola, principalement au Liberia, a aussi une dimension correctrice d'une introduction manquée. Il faut se rappeler que ce pays a été fondé en 1822 par une société philanthropique américaine pour y rapatrier des esclaves libérés. Pour cause, certains racistes planteurs du Sud, incapables de supporter la vue d'un Noir en liberté, avaient décidé de débarrasser leur pays des esclaves affranchis en leur cogitant un pays qui s'appellerait le Liberia. Depuis, la tension entre ces Américano-Libériens ou leur descendance et la population autochtone de la région a été en grande partie responsable de l'instabilité politique et sociale qui profite indirectement aujourd'hui au virus qu'ils sont allés combattre.

L'élite venue d'Amérique a historiquement méprisé les Autochtones, qui n'auront leur droit de vote qu'en 1945, et l'histoire du Liberia moderne est jalonnée de guerres entre cette descendance américaine et les populations autochtones. Des conflits impliquant beaucoup d'enfants-soldats, qui ont souvent débordé en Sierra Leone voisine. Une sombre page qui a été dramatiquement et humoristiquement racontée par Amadou Kourouma dans une oeuvre majeure de la littérature africaine intitulée Allah n'est pas obligé.

Mais, malgré toutes leurs contradictions, il m'arrive de penser avec une certaine culpabilité que c'est une chance que la nation la plus puissante de cette planète soit cette Amérique qu'on aime détester. Comme l'a déjà dit le président Obama, lorsque l'alarme sonne quelque part sur la planète, c'est l'Amérique que le monde appelle. Il n'appelle pas Moscou ou Pékin.

La Chine, qui a de gigantesques intérêts en Afrique, a-t-elle un plan majeur pour aider à endiguer l'Ebola? Est-ce que la France, qui a initié en 2011 la coalition internationale qui allait mener à la mort de Kadhafi, a un plan pour sortir la Libye du chaos social djihadiste qui le gangrène et risque de se répandre dans le reste du Maghreb, mais aussi au sud du Sahara?

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