Si je suis allé à l'école, c'est grâce à mon paternel analphabète qui nous répétait souvent que les illettrés étaient les aveugles des temps modernes et qu'il ne voulait pas voir, de son vivant, son fils ou sa fille souffrir de son handicap. Pour nous convaincre de valoriser les études, à partir de l'âge de sept ans, papa nous faisait trimer si fort dans ses champs d'arachides ou avec son troupeau de zébus, que l'ouverture des classes nous apparaissait toujours comme le retour des grandes vacances.

Celui qui veut améliorer son sort, avait-il l'habitude de raconter, doit soulever la poussière avec ses pieds au lieu de la garder collée à son derrière. Sa méthode de motivation scolaire était très efficace. Tenaillée entre la culture des arachides et l'élevage des zébus, la famille s'est accrochée à l'école comme on s'agrippe à une bouée de sauvetage.

Pour mon papa de 86 ans, qui est un passionné des vaches, le cadeau idéal en cette fête des Pères serait une génisse de race Holstein, qu'il considère comme l'incarnation ultime de la beauté sur terre. Ces vaches qui n'ont malheureusement pas la rusticité de nos zébus pour survivre au soleil de plomb qui brûle nos pâturages de savane, qu'il a toujours sillonnés avec ses animaux transhumants.

Aujourd'hui, parce qu'il s'est fait amputer le pied droit à la suite d'une infection à la bactérie mangeuse de chair, papa est devenu un berger sédentaire. Pour sublimer son sort, il aime bien raconter en riant que pour un inconditionnel des bovidés comme lui, finir sa vie avec un sabot est peut-être une bénédiction céleste.

Mais, comme tous les hommes de sa génération, mon très résilient papa ne savait pas comment s'investir dans le développement affectif d'un gamin. Il fait partie de cette classe de pères qui, pour montrer leurs sentiments, préfèrent le chemin des actions à celui des mots. Mon père est l'archétype de cette génération de papas qui répondent aux questions sans jamais ouvrir la bouche.

J'ai longtemps pensé qu'il mettait en pratique le dicton «Quand on n'a rien à dire, mieux vaut se taire». Non, il personnalisait plutôt un autre proverbe de mon pays: «La route ne donne pas de renseignements au voyageur».

Mon père préférait m'accompagner que me raconter. Il ne me prêchait pas par amour, il m'aimait par l'exemple. Il était la route sur laquelle j'allais mon chemin. Il guidait mes pas, s'assurant que je bute parfois sur des petits cailloux pour apprendre à éviter les grosses roches, souhaitant une seule chose, que j'arrive à bon port par mes propres moyens.

Chaque fois que je quitte le Sénégal après mes vacances, pendant que ma mère, le coeur brisé, me cache ses larmes, mon père se contente de me donner la main en regardant par terre, les yeux sur le chemin que nous avons parcouru tant de fois, main dans la main au début, côte à côte par la suite, mais le plus souvent en silence. Mon père était là pour la famille, mais rarement avec la famille, parce qu'occupé continuellement à nous trouver de quoi manger.

C'est tous ces papas qui aiment dans le silence et éduquent par l'exemple; ces papas dont les émotions s'expriment souvent par des malaises; ces papas qui perdent leur moyen quand leurs enfants essayent de les serrer dans leurs bras; ces papas qui n'ont pas besoin de dire je t'aime pour qu'on le sache; ces papas dont le silence est plus audible que la parole, que je voudrais saluer en cette fête des Pères.

Bonne fête des Pères à tous les autres papas aussi!

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