Il y a des expressions qui, lorsqu'elles sont installées confortablement dans une parlure, deviennent difficiles à déloger. Ce concept de pure laine, qui résonne encore plus fort en cette période de tension identitaire, en est un bel exemple. Entendons-nous, je fais aussi partie de ceux qui utilisent ce raccourci langagier parce qu'il est très pratique pour qualifier, de façon non équivoque, les Québécois dont les ancêtres remontent aux colons français d'avant la conquête de 1760. Je sais aussi que la grande majorité des gens qui utilisent cette dénomination le font sans aucune arrière-pensée. De toute façon, si les immigrants d'hier sont devenus les pures laines d'aujourd'hui, gageons que les nouveaux arrivants d'aujourd'hui seront les pures laines de demain.

Si je ne suis pas épris de ce qualificatif identitaire, c'est pour de multiples raisons. D'abord, il y a cette inévitable association entre laine et mouton, qui me déplaît parce qu'interpellant chez moi une autre formule de la même famille: se faire manger la laine sur le dos. En plus, ayant grandi entouré du troupeau d'ovins de mon père, l'ancien berger en moi n'arrive jamais à trouver chez le mouton une force et un caractère suffisamment inspirant pour en faire une référence identitaire. De plus, même la plus pure des laines provient d'un mouton qui a connu, depuis la nuit des temps, bien des croisements et des hybridations sélectives. Si bien que les moutons d'aujourd'hui se reconnaîtraient difficilement dans leurs ancêtres domestiqués il y a de 9000 ans, et dont la laine faisait déjà l'objet de sélection par les Sumériens et les Babyloniens.

Je m'insurge contre cette appellation parce que dans les systèmes biologiques, la pureté congénitale rime souvent avec vulnérabilité et fragilité collective. La nature préfère la diversité génétique. Disons qu'elle aime tellement les mélanges, qu'elle a inventé la reproduction sexuée et imposé un chemin de croix à nos millions de spermatozoïdes pour que nous soyons aussi différents les uns des autres que le sont les arbres d'une forêt. Si vous croisez deux fois le même arbre dans une forêt, disait mon grand-père, c'est parce que vous êtes perdus. Même les bactéries, qui se reproduisent par simple clonage en se devisant en deux copies identiques, prennent parfois le temps d'échanger des fragments d'ADN pour s'éloigner de la pureté et élargir le patrimoine génétique de leurs populations. 

Je m'insurge contre cette dénomination, car la pureté de la laine me renvoie aussi à cette étape de lavage et de dégraissage qui permet de passer de la toison brute au produit prêt à être tissé. Or si une partie de la population s'associe au produit fini et immaculé, comme immigrant, je dois refuser de me voir dans cette matrice crasseuse qui contaminait le pelage original.

Je m'insurge aussi contre ce patronyme pour les mêmes raisons que l'auteur et médecin Jean Désy. Cet amoureux de la nordicité propose de laisser la pureté de la laine à la Nouvelle-Zélande et de devenir des pures fourrures. Une belle façon de rendre hommage aux ancêtres coureurs des bois avec qui tout a commencé. Le Québec n'a jamais été, selon lui, un grand producteur de mouton au point d'associer son identité à la laine.

Je m'insurge contre la pureté de la laine, même si je comprends aussi que ce besoin de distinguer son groupe des autres entités est universel. Alors, en attendant de trouver un substitut plus poétique pour distinguer les pures laines des autres fibres, voilà ce que je propose. Si quelqu'un porte le Québec et sa culture dans son coeur, peu importe que sa laine soit importée, transgénique, vierge ou de mouton noir, il est un vrai Québécois. Vive le Québec métissé serré!

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