Le 17 janvier dernier, Microsoft a fait une annonce qui devrait nous faire réfléchir. Le géant américain a avalé la petite boîte montréalaise Maluuba, qui fait dans l'intelligence artificielle.

En soi, il n'y a pas là de quoi déchirer sa chemise. Il est normal que certaines de nos entreprises technologiques passent à des mains étrangères. Microsoft a même augmenté les effectifs de Maluuba à Montréal, du positif pour la métropole.

Mais sans nous faire paniquer, cette acquisition doit servir d'avertissement.

Le Québec peine à commercialiser ses innovations et à faire grandir des géants technologiques.

Dans le cas de l'intelligence artificielle, il faut éviter que les centaines de millions d'argent public investis dans la science fassent naître des entreprises qui seront achetées par des groupes étrangers et iront créer de la valeur ailleurs.

Bref, le Québec ne doit pas se transformer en centre commercial pour les Facebook et Google de ce monde.

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Avec l'apprentissage profond, l'une des branches les plus prometteuses de l'intelligence artificielle, le Québec s'est hissé dans le peloton de tête mondial d'un secteur technologique en plein essor. Cela ne s'est pas vu depuis des décennies.

Ce succès est dû aux cerveaux d'ici et aux gouvernements qui ont su les soutenir. Il faut le célébrer. Mais tout en trinquant, il faut préparer la prochaine étape : convertir cette réussite scientifique en création de richesse et d'emplois. La bonne nouvelle, c'est que cette réflexion est déjà commencée, et que plusieurs éléments sont en place pour la concrétiser.

Avec des acteurs comme Element AI, qui se décrit comme une « usine à startups », ou MILA, un institut qui fera du transfert technologique, les ingrédients sont présents au Québec pour faire émerger des entreprises. Ces jeunes pousses vont éclore dans un terreau beaucoup plus fertile que celui qu'on avait il y a une dizaine d'années.

La province possède maintenant un vrai écosystème de capital de risque capable d'épauler et de financer les entreprises technologiques.

C'est lorsque ces entreprises grandiront et exigeront des investissements de 20, 50 ou 100 millions que ceux pouvant répondre à l'appel risquent de se faire plus rares. La Caisse de dépôt, qui peut signer de tels chèques, affirme être prête. Elle est d'ailleurs impliquée dans la création de la future grappe industrielle en intelligence artificielle, ce qui est rassurant.

Mais on aurait tort de sous-estimer la force des Google et autres Facebook. Ces géants ont les poches profondes et ont toutes sortes de raisons d'acheter des entreprises, que ce soit éliminer un concurrent, acquérir des employés ou mettre la main sur une technologie. Oui, il se peut qu'ils maintiennent des activités à Montréal à la suite de leurs acquisitions. Mais l'intelligence artificielle nous permet de rêver à de vrais géants technologiques québécois, qui prendront leurs décisions ici et feront rayonner la province. C'est ça qu'il faut viser.

Pour que cela se produise, un groupe devra répondre à l'appel : les grandes entreprises québécoises. Les boîtes d'intelligence artificielle n'évoluent pas en vase clos. Elles développent des solutions pour des secteurs plus traditionnels comme la finance, le divertissement ou la santé. Pour elles, le nerf de la guerre est l'accès aux données. Convaincre les Desjardins, Banque Nationale et autres Bell de partager leurs données en retour de solutions novatrices changerait la donne. En santé, le ministère et les instituts publics sont aussi des mines d'or de matière brute à faire tourner les algorithmes d'intelligence artificielle.

Les grandes entreprises québécoises n'ont pas l'habitude de ce genre de collaboration, et les ministères encore moins. Il y a tout un changement de culture à faire. Coveo et Stingray, deux industriels québécois, participent déjà à la création de la future grappe technologique en intelligence artificielle. D'autres devront s'y joindre.

Yoshua Bengio, chercheur québécois et figure de proue de l'apprentissage profond, rêve de bâtir une « vallée de l'intelligence artificielle ici plutôt qu'en Californie ». Ce projet est à la fois formidable et atteignable. Mais il faut que le Québec entier l'appuie si on veut le voir naître.

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