On va tous mourir, c'est assez connu. Mais peut-on prévoir sous quelles conditions on ne voudra plus continuer à vivre? Peut-on savoir quand les souffrances de l'alzheimer, une maladie qu'on craint sans l'avoir vécue, justifieront d'éteindre les lumières? Et peut-on le dire avec assez de certitude pour rendre cette décision irrévocable plusieurs années à l'avance?

Voilà les terribles questions qui se cachent derrière la dernière promesse de la Coalition avenir Québec (CAQ). Hier, le parti s'est engagé à tenir des consultations publiques à l'Assemblée nationale sur l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de l'alzheimer et d'autres formes de démence.

Le contexte de l'annonce étonne un peu. En effet, il ne s'agit pas d'un débat neuf et les autres partis ne l'évitent pas. La CAQ ne fait que remettre à l'avant-scène une réflexion qui avance déjà en coulisse.

Quatre démarches parallèles sont en cours. 

 - Le bilan de la loi québécoise, que doit faire la Commission sur les soins de fin de vie. Il est attendu d'ici décembre.

 - Le rapport d'expert sur l'élargissement de l'aide médicale à mourir, commandé à l'hiver 2017 par le gouvernement Couillard. Il est attendu dans les prochains mois.

 - Les rapports d'expert commandés par le gouvernement Trudeau sur l'élargissement du suicide assisté aux mineurs, aux gens inaptes et aux gens souffrant de troubles psychologiques.

 - La requête déposée à la Cour suprême du Canada pour contester la loi fédérale qui légalise le suicide assisté.

Le parti de François Legault aurait souhaité que les parlementaires québécois mènent eux-mêmes le débat à l'Assemblée nationale, avant le dépôt de ces rapports.

Mais il est préférable d'attendre, car le cas de l'alzheimer est plus complexe qu'il n'y paraît. Il ne fait pas seulement appel à nos convictions profondes sur le sens de la vie et la liberté de choisir sa mort.

Il y a plus que des questions morales et philosophiques. Il y a aussi des questions pratiques et médicales sur la nature de la démence et l'applicabilité de l'aide médicale à mourir.

Le coeur du dilemme porte sur le consentement.

En vertu des lois de Québec et d'Ottawa, le patient doit demander de façon libre et éclairée à se faire donner la mort. Or, l'alzheimer gruge la lucidité du malade. Plus le stade est avancé, moins il est apte à donner son consentement.

La directive médicale anticipée sert à contourner cet obstacle. Une personne peut demander à l'avance d'en finir lorsqu'elle aura atteint un certain état d'indigence.

Or, deux problèmes demeurent pour appliquer cette directive.

Le premier concerne le malade. Comment savoir si la démence sera intolérable, et quand elle justifiera sa mort? La souffrance est un état de conscience - on ne peut pas la comprendre sans en avoir fait l'expérience. De plus, elle varie d'une personne à l'autre. Des malades d'alzheimer vivent l'enfer, tandis que d'autres sourient même lorsqu'ils ne sont plus lucides.

Des gens inquiets se diront : sans mémoire, sans lucidité, je ne serai plus moi-même. Pour sauver ma dignité et ne pas faire souffrir mes proches, je préfère qu'on devance l'inévitable. Mais cette décision de mourir, ils la prennent avec leurs valeurs d'aujourd'hui. La personne qu'ils seront plus tard ne pensera peut-être pas la même chose.

Le second problème concerne le médecin. Comment savoir précisément quand le patient correspond à l'état décrit dans la déclaration anticipée? Il faut un critère applicable. Est-ce quand il ne pourra plus parler? Quand il deviendra grabataire?

Ces obstacles ne sont pas insurmontables. D'ailleurs, en 2012, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité recommandait de permettre les déclarations médicales anticipées. Mais les gouvernements Marois et Couillard ont préféré ne pas aller tout de suite de l'avant avec cette mesure qui ne faisait pas encore consensus.

On peut remercier la Coalition avenir Québec de rappeler à tous que ce débat aussi sensible que nécessaire n'est pas encore terminé. Mais avant de le finir, il reste quelques zones d'ombre à éclairer.

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La loi du fédéral

Adoptée en 2015, en réaction à un jugement de la Cour suprême. Elle autorise l'aide médicale à mourir pour des critères inspirés de ceux de la loi québécoise : adulte atteint d'une maladie «grave et irrémédiable», aux souffrances «persistantes» et «intolérables», et qui y consent de façon éclairée. De plus, le patient doit être en fin de vie - sa mort doit être «raisonnablement prévisible», un concept critiqué pour son imprécision. Pour cette raison, la loi est contestée devant les tribunaux.

La loi du Québec

Adoptée en 2014. Elle prévoit qu'un adulte en fin de vie peut se faire donner la mort à condition de remplir des critères bien précis : maladie incurable, souffrances constantes et incurables, et consentement donné de façon libre et éclairée.

Le critère de la «fin de vie» permettait d'inscrire l'aide médicale à mourir dans un continuum de soins en fin de vie. Selon Québec, la loi relevait de la santé, de compétence provinciale. Elle ne portait pas à proprement parler sur le suicide assisté, qui relève du Code criminel, une compétence fédérale.

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