François Legault a raison de s'inquiéter du volet économique du projet d'énergie éolienne Apuiat sur la Côte-Nord. Mais il devrait élargir son analyse afin d'en évaluer aussi la charge symbolique pour les Innus. Si le chef caquiste la néglige, il pourrait le payer cher...

Pour l'analyse énergétique, M. Legault voit juste. Le Québec nage dans les surplus et ne réussit pas à trouver des acheteurs. Cette production excédentaire fait perdre des milliards au Québec.

Bien sûr, pour évaluer un nouveau projet, c'est la consommation future qui importe. Les éoliennes d'Apuiat tourneront au plus tôt en 2022. Il est possible que les besoins du Québec ou de ses voisins auront alors augmenté - par exemple, en 2023, l'Ontario fermera sa centrale nucléaire Pickering. Pour répondre à cette demande anticipée ou pour stabiliser le réseau, on peut donc planifier de nouveaux projets. Mais il n'y a pas d'urgence pour l'instant. Surtout si la production est modeste (200 MW) et si le prix n'est pas avantageux.

Les libéraux répondent que le projet Apuiat est prévu depuis longtemps. Ce n'est pas leur meilleur argument. Il est vrai qu'il découle de la stratégie énergétique de 2006-2015. Avec Apuiat, Québec finirait ainsi de commander les 4000 MW d'énergie éolienne promis. Le projet est d'ailleurs en négociation depuis trois ans. Mais fallait-il à tout prix concrétiser cette stratégie désuète, conçue avant que la crise économique ne fasse baisser les prix, et avant que le gaz de schiste ne fasse baisser la demande?

S'il n'en tenait qu'à M. Legault, le projet serait abandonné. Il devrait toutefois bien y réfléchir... Car si un gouvernement caquiste refuse le projet, il se magasinera une crise avec les Innus.

Pour Hydro-Québec, Apuiat est une aventure mineure et inutile. Pour les Innus, au contraire, c'est une avancée historique. Il s'agit du tout premier grand projet de développement économique mené par les neuf communautés innues.

En 2015, le gouvernement libéral a décidé de leur confier la production de 200 MW. N'ayant pas d'expérience en la matière, les Innus se sont alliés à Boralex. L'entente négociée leur assure la moitié des bénéfices.

Cette coentreprise Boralex-Innus devait ensuite s'entendre avec Hydro-Québec, qui doit acheter et distribuer cette électricité.

Voilà où nous sommes rendus. Et c'est ici que ça bloque. Le directeur général d'Hydro-Québec, Éric Martel, juge Apuiat «difficilement recommandable» à cause de ses «coûts extrêmes». Selon lui, la société d'État perdra de l'argent, car elle sera obligée d'acheter l'électricité plus cher qu'elle ne la vendra. Et les Innus pourraient faire très peu d'argent, estime M. Martel. Le partage des bénéfices promis aux Innus par Boralex risque d'être «faible ou inexistant», prévient-il. De plus, il n'y aura en moyenne que 12 emplois par année.

Qu'en penser? Sur le premier aspect, M. Martel a raison : Hydro-Québec risque de perdre beaucoup d'argent.

Mais l'analyse comptable d'Éric Martel néglige l'importance d'occuper le territoire et de protéger la filière éolienne québécoise. Et surtout, son analyse crée un gros malaise auprès des Innus.

Le PDG présume que ces communautés ont été naïves et incompétentes. Qu'elles ont signé une mauvaise entente et ne s'en rendent pas compte. Cela sent le paternalisme. Pourtant, les Innus ont l'habitude de s'entendre avec des minières et d'autres sociétés qui exploitent des ressources sur leur territoire.

Dans la dernière semaine, les Innus ont évité l'escalade. Mais contrairement aux Cris, ils n'ont pas signé leur «Paix des braves».

Leur collaboration sera requise dans une multitude de dossiers, comme le prolongement de la route 138 ou des lignes d'exportation d'Hydro-Québec. Apuiat risque d'empirer la relation déjà fragile entre la société d'État et les Innus. On ne s'inquiète jamais des crises qu'on ne voit pas venir...

Que faire maintenant? M. Legault a raison : avec la campagne électorale à nos portes, M. Couillard perd la légitimité d'engager l'État dans un contrat de 25 ans. Et de toute façon, il n'y a pas d'urgence.

Que les Innus gèrent leur propre négociation avec Boralex. Si Hydro-Québec doit ensuite mieux négocier avec cette coentreprise, au nom de tous les Québécois, qu'elle le fasse. Après tout, on répète, il est question d'une entente de 25 ans!

Par contre, il est trop tard pour revenir sur l'engagement de signer un contrat avec les Innus. Il y a une limite au nombre de promesses qu'on peut briser avec un peuple.

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2,5 milliards

Argent perdu par Hydro-Québec entre 2009 et 2016 à cause de l'énergie éolienne achetée malgré les surplus d'électricité. Le chiffre vient de la vérificatrice générale.

Cette analyse comptable ne tient toutefois pas compte de l'occupation du territoire et du développement économique en région, deux arguments politiques brandis par les précédents gouvernements libéraux et péquistes.

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Le projet Apuiat

• De 48 à 57 éoliennes

• 200 MW

• De 300 à 400 emplois durant la construction

• De 10 à 15 emplois durant l'exploitation

• Date de mise en service : inconnue

Source : apuiat.com

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