Admettons que le fédéral prendrait tout l'argent récolté grâce à la tarification du carbone. Admettons qu'il le déverserait ensuite dans la mer de Baffin. Dans cette hypothèse, les conservateurs auraient raison de dénoncer la taxe sur le carbone. Mais, après avoir vérifié en Arctique, il appert que ce n'est pas le cas...

On caricature à peine les attaques récentes des conservateurs fédéraux et ontariens contre la tarification du carbone proposée par le gouvernement Trudeau. Pour eux, il s'agirait d'un incinérateur à fonds publics. Un pur gaspillage.

Dans leur calcul, ils commettent toutefois deux grossières erreurs.

D'abord, ils font comme si la taxe n'avait aucun effet positif en soi. Or, elle décourage l'émission de gaz à effet de serre (GES).

Et ensuite, les conservateurs font comme si l'argent prélevé par la taxe se volatilisait en pure perte. Or, la somme peut être utilisée pour verdir l'économie et même pour réduire d'autres taxes.

Cette tarification n'a donc rien d'un complot de socialistes et d'autres enverdeurs. C'est au contraire une mesure capitaliste bien conventionnelle : reconnaître que la pollution a un coût, puis le chiffrer.

Il s'agit du point de départ d'une politique de lutte contre les GES. Du strict minimum. Mais pour les conservateurs, c'est encore trop.

Le débat se mène en parallèle sur la scène fédérale et ontarienne.

Le gouvernement Trudeau vient d'adopter une loi qui forcera chaque province à tarifier le carbone à partir de 2019. Certaines provinces, comme le Québec et la Colombie-Britannique, le font déjà par l'entremise d'une taxe ou d'un marché du carbone. Pour elles, rien ne changera. La mesure vise plutôt les provinces qui s'obstinent encore à ne rien faire, comme la Saskatchewan.

À Ottawa, l'opposition conservatrice s'insurge. Depuis la semaine dernière, elle répète la même question : combien ça coûtera aux familles ?

La formulation est tendancieuse, car la tarification du carbone n'est qu'un coût. C'est aussi un revenu - par exemple, le Québec le réinvestit dans le Fonds vert, qui finance la réduction des gaz à effet de serre*. Et en plus d'être un revenu, cette tarification constitue aussi un incitatif pour encourager les technologies vertes et dissuader la pollution.

Il faudrait donc s'intéresser au coût net de la tarification du carbone, en évaluant l'ensemble des effets. Mais les conservateurs fédéraux n'ont pas envie d'un débat sérieux. Ils n'ont qu'un but : alimenter la colère des Canadiens.

Pour cela, ils ont maintenant un précieux allié à Toronto, le conservateur Doug Ford. Tel que promis en campagne, le premier ministre désigné de l'Ontario veut que sa province quitte le marché du carbone auquel participent le Québec et la Californie.

Sa décision se base sur des fausses prémisses. Le marché du carbone ne tue pas la croissance de l'économie ou la création d'emplois - le Québec en constitue un bon exemple. Il stimule même l'innovation, en incitant les entreprises à rénover leurs infrastructures.

Et surtout, la décision de M. Ford est inapplicable. À partir de 2019, Ottawa exigera que chaque province tarifie le carbone. Résultat, l'Ontario devra changer son marché du carbone actuel pour une taxe fédérale. Et ses entreprises perdront pour près de 2 milliards en crédits d'émission déjà achetés. M. Ford nuit à ces sociétés en propageant ce qu'elles détestent le plus, l'incertitude.

Les conservateurs ont raison sur un élément : sans tarification du carbone, l'essence coûterait environ 5 cents de moins par litre en Ontario. On sympathise avec les Ontariens, qui paient leur énergie très cher, entre autres à cause des erreurs du précédent gouvernement libéral de la province. Mais l'environnement ne devrait pas être la victime collatérale de leur frustration.

Dans tout ce débat, il y a un mot que les conservateurs ne mentionnent jamais : climat. Si on ne tarifie pas le carbone, quel serait l'effet sur les émissions de gaz à effet de serre ?

M. Ford et les troupes d'Andrew Scheer ne répondent pas. S'ils croient aux changements climatiques, ils le cachent très bien.

Le gouvernement Trudeau a repris les cibles de réduction de GES de son prédécesseur, Stephen Harper. Pour l'instant, le plan libéral ne permet pas encore de les atteindre. Mais les conservateurs se battent aujourd'hui pour aggraver l'échec.

Le débat serait plus franc si M. Scheer avait l'honnêteté de dire qu'il ne croit pas que le Canada doit lutter contre les changements climatiques. S'il avouait son plan à lui : prendre l'accord de Paris, et l'enfouir quelque part au pôle Nord.

* Le bureau du Vérificateur général a souvent dénoncé le Fonds vert par le gouvernement libéral. Ses rapports démontrent que plusieurs dépenses contribuent peu à réduire les GES. Reste toutefois qu'il serait possible de bien gérer le Fonds pour qu'il atteigne son objectif.

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