Quand l'homme le plus placide en ville s'impatiente, il faut y porter attention.

Mardi dernier, le vérificateur général du Canada s'est permis pour une rare fois d'aller au-delà des constats de son rapport. « Il y a un problème fondamental de culture [dans l'administration publique] », a-t-il dénoncé.

Chaque année, son bureau publie un rapport. Chaque fois, il découvre les mêmes types d'erreurs et de gaspillage. Et chaque fois, il formule des recommandations, que les ministères acceptent.

C'est fort gentil de les accepter. Mais ce qui serait encore plus sympa, ce serait de les adopter pour que les erreurs cessent de se reproduire.

Ce printemps, la récolte du vérificateur fut de nouveau bonne : gâchis du système de paie Phénix (voir l'éditorial de notre collègue Ariane Krol), négligence auprès des Canadiens détenus à l'étranger malgré les leçons de l'affaire Arar, désordre dans les programmes sociaux des Premières Nations et gaspillage pour le nouveau pont Champlain.

Comment une telle culture est-elle possible ? Après tout, l'administration publique ne manque pas de règles et de mécanismes de contrôle.

En analysant le rapport du vérificateur, on peut identifier deux grandes causes. D'abord, les nombreux règlements incitent les gens à se protéger pour éviter le blâme. Et ensuite, la lourdeur organisationnelle empêche l'information de bien circuler. C'est cela qui explique les problèmes du chantier du pont Champlain.

Bien sûr, le nouveau pont n'a rien à voir avec le scandale du système Phénix. Mais c'est néanmoins un bon exemple des erreurs ordinaires qui finissent par causer des retards et coûter des millions de dollars chaque année. Des millions qui s'additionnent...

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Le pont Champlain existe depuis 1962. À la fin des années 90, des ingénieurs constatent déjà sa dégradation.

En 2004, la Société des ponts fédéraux (SPF) sonne l'alarme : bientôt, le pont ne sera plus sûr. Mais le message ne se rend pas au ministre fédéral des Transports.

L'année suivante, la société d'État Les Ponts Jacques Cartier et Champlain, une filiale de la SPF, découvre une autre menace en examinant l'intérieur des poutres. Mais cette fois, le constat ne se rend même pas à la SPF.

Puis, en 2006, la société d'État recommande de construire un nouveau pont. Ce serait moins cher que de réparer.

Mais il faudra attendre 2008 pour que le ministre des Transports prenne pleinement conscience du problème. Et il faudra ensuite attendre trois autres années avant que la construction du nouveau pont ne soit approuvée.

Cela fait beaucoup de gens qui passent beaucoup de temps à ne pas s'écouter.

Si Ottawa avait agi plus vite, le nouveau pont aurait été prêt en 2015. Or, c'est justement à partir de 2015-2016 que les coûts d'entretien ont explosé. Des dépenses inutiles, car on a englouti des millions pour réparer un pont juste avant de le détruire.

En plus de critiquer ce gaspillage, le vérificateur général remet en question le modèle de partenariat-public privé. Était-ce le bon choix ? On l'ignore, et c'est justement le problème... Il n'y avait pas d'étude pour le vérifier.

En 2011, le gouvernement Harper a opté pour ce type de contrat (conception-construction-financement-entretien) avant même d'avoir analysé les autres options. Les conservateurs ont commencé avec la conclusion, puis ont lancé les études pour la justifier. Ce n'est qu'en 2014 que les analyses ont été complétées.

Le coût du projet a été calculé à partir de données très incomplètes. À peine 5 % du plan de conception était terminé ! Il ne faut donc pas s'étonner si le budget n'est pas respecté.

Avec le nouveau pont Champlain, les erreurs habituelles se répètent. On comprend le vérificateur général d'avoir manifesté un début d'impatience. Il peut être épuisant de crier dans le désert.

> Consultez le rapport du vérificateur général

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