En nationalisant l'oléoduc Trans Mountain, Justin Trudeau prend un terrible risque. Il joue à Loto-pétrole.

On pourrait parler longuement de l'impact environnemental ou politique. On s'attardera ici au volet financier.

Les libéraux prétendent qu'il n'y aura pas d'impact fiscal, car ce serait un «investissement». Mais cet investissement n'a pas été négocié dans des conditions optimales... Lors de l'achat de l'oléoduc, le fédéral avait le fusil sur la tempe. Et à la vente, il risque d'être à genoux.

Pire, le dossier dépend d'une multitude de facteurs que le fédéral ne peut ni prévoir ni contrôler.

Bref, sa stratégie se résume à croiser les doigts.

La première raison de s'inquiéter, c'est la désertion de Kinder Morgan, propriétaire de l'oléoduc.

En 2016, l'expansion de son oléoduc obtenait le feu vert du fédéral. Mais il est depuis menacé par deux recours juridiques, intentés par le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique ainsi que par certaines Premières Nations.

Le mois dernier, Kinder Morgan lançait un ultimatum : si ces menaces perdurent, elle saborderait le projet d'ici le 31 mai. Malgré l'offre d'indemnisation du gouvernement Trudeau, elle jugeait encore le risque trop grand. Voilà le projet qu'Ottawa vient d'acheter. À minuit moins une, désespéré, pour sauver son plan climat.

Si Kinder Morgan n'y voyait plus d'intérêt financier, pourquoi le fédéral ferait-il mieux? Selon les libéraux, la nationalisation de l'oléoduc réduirait l'incertitude juridique. Désormais mené par une société fédérale, le projet aurait préséance sur les contestations d'une province ou de nations autochtones.

Il est vrai que le risque juridique diminue, mais il ne disparaît pas. Et en contrepartie, le risque politique pourrait augmenter. Car pour les opposants au projet, il est plus facile de faire pression sur un politicien en quête de votes que sur une société américaine qui répond à ses actionnaires.

Et même si l'oléoduc devait se construire, le potentiel de fiasco demeure. En effet, Ottawa a payé cher.

Les 4,5 milliards ne servent qu'à acheter l'oléoduc actuel, qui date de 1953, ainsi qu'un terminal maritime. Cela n'inclut pas l'expansion de l'oléoduc, à peine commencée. Le prix du travail qui reste à faire est évalué à 6,3 milliards et la facture risque fort d'augmenter.

D'ailleurs, la journée où le gouvernement Trudeau nationalisait l'oléoduc, le vérificateur général dénonçait l'incapacité du fédéral de contrôler les coûts des grands projets. Maintenant, les libéraux veulent gérer un oléoduc...

Et même si les coûts demeuraient sous contrôle, il resterait le problème de la revente. Le nombre d'acheteurs est limité - on peut penser à une poignée de géants, comme Enbridge et TransCanada, des fonds de pension ou des investisseurs autochtones. Et le contexte politique pourrait aussi nuire. Imaginons que le gouvernement Trudeau cherche à vendre l'oléoduc peu avant la prochaine campagne électorale, pour montrer que son plan a fonctionné. Ce n'est pas une position de force pour négocier.

La transaction dépendra d'autres facteurs imprévisibles, comme le volume prévu des exportations, et donc le prix du pétrole. Quelqu'un croit-il encore sérieusement pouvoir prédire ce marché?

Les libéraux répondent que cette analyse est trop étroite. Selon eux, il faudrait aussi penser aux 15 000 emplois en jeu et aux 15 milliards que le Canada récupérerait en vendant son pétrole à un meilleur prix. Ces chiffres sont toutefois trompeurs.

D'abord, il est plus prudent de se fier sur la présentation faite à l'Office national de l'énergie : 2500 emplois par année, seulement durant la construction. Le chiffre de 15 000 inclut les emplois indirects, à long terme, selon une étude payée par la pétrolière.

Ensuite, les pertes liées à la dépendance au marché américain sont aussi exagérées. Oui, à cause du réseau actuel de distribution (oléoducs et rails), la presque totalité des exportations canadiennes va aux États-Unis, ce qui baisse son pouvoir de négociation. Mais la Banque Scotia évalue plutôt cette somme annuelle à 7 milliards. Et surtout, cette perte pourrait être annulée avec les deux autres projets d'oléoducs en chantier, ceux de la Ligne 3 d'Enbridge et de Keystone XL.

On comprend ainsi le risque pris par le gouvernement Trudeau : des milliards pour un projet qui sera difficile à revendre et qui pourrait même ne jamais voir le jour.

Ce billet de loto, les Canadiens viennent de l'acheter bien malgré eux.

Tout cela pour sauver le plan climat des libéraux. Un plan qui repose lui aussi sur un pari : hausser à court terme les émissions de gaz à effet de serre avec le projet Trans Mountain, afin de rallier l'Alberta à des mesures (fin du charbon, taxe carbone) qui réduiront au net à long terme les émissions.

Mais pour l'instant, tout ce qu'on observe, c'est que les libéraux dépensent des milliards pour accélérer la croissance des sables bitumineux. Ce sont eux, nos champions de l'environnement.

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4,5 milliards : prix que paiera Ottawa pour l'oléoduc actuel

6,4 milliards : plus récente évaluation du coût qu'Ottawa devra payer pour finir l'expansion de l'oléoduc

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