Avant de jeter la pierre aux immigrants, regardons-nous dans le miroir. Vrai, parmi les nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas le français, seule une minorité suit les cours de francisation. Mais est-ce par désintérêt ? Les blâmer est trop facile. C'est plutôt parce que Québec échoue à offrir et promouvoir les cours. Et aussi parce que le marché du travail envoie trop souvent le message que le français reste facultatif.

Voilà pourquoi le Québec ne devrait pas rendre obligatoires maintenant les cours de francisation. Parce que les nouveaux arrivants seraient pénalisés pour des échecs dont ils sont plus victimes que responsables.

Selon un récent sondage du Mouvement national des Québécois, 85 % des Québécois voudraient que les cours de francisation soient obligatoires. Et 73 % des sondés voudraient expulser les immigrants qui ne maîtrisent pas le français après avoir suivi ces cours.

Ces sondés ont raison d'insister sur l'importance de la francisation. Ils ont aussi raison de dénoncer l'indolence du gouvernement libéral. 

Mais le prochain gouvernement devrait commencer par faire le ménage dans sa cour. Et soyons honnête, cela ne se fera pas en quelques mois. Le problème est trop vaste.

L'automne dernier, la vérificatrice générale en a démontré toute l'ampleur. Les cours de francisation sont donnés par trois ministères (Éducation, Emploi et Immigration, par l'entremise de 86 partenaires) qui ont chacun leurs propres normes. Il est déjà difficile pour un journaliste de comprendre les méandres de cette bureaucratie. Alors imaginez pour un Colombien ou un Pakistanais qui débarque pour la première fois au Québec.

Sans surprise, le taux d'inscription est faible. Moins du tiers des nouveaux arrivants ne parlant pas français sont inscrits à des cours. Le gouvernement libéral aussi ignore si les immigrants non inscrits apprennent le français d'une autre façon. Il ne fait même pas de suivi de ceux qui abandonnent les cours.

Et même ceux qui les réussissent peuvent vite déchanter. Imaginons des conjoints qui travaillent toute la journée pour faire vivre leur famille, puis se relaient le soir pour que l'un apprenne le français pendant que l'autre s'occupe des enfants. Après deux ans, madame maîtrise enfin le français, comme on le lui a demandé. Elle envoie alors son CV pour travailler en informatique, sa spécialité. Puis elle réalise que son boulot se fera surtout en anglais...

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Bien sûr, il existe quelques initiatives encourageantes. Par exemple, un programme de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain offre des autocollants « J'apprends le français » aux commerçants immigrants. Cela incite les clients à les voir comme des alliés à qui tendre la main, au lieu de menaces.

Et même si un nouvel arrivant n'apprend pas le français, grâce à la loi 101, ses enfants iront à l'école en français. La deuxième génération sera francisée.

Reste que cela n'excuse pas l'échec des libéraux. En début de mandat, le gouvernement Couillard a même aggravé le problème, en réduisant de 26 % l'enveloppe de francisation du ministère de l'Éducation ! L'année suivante, il se vantait de réinvestir, alors que cet « investissement » ne compensait même pas la compression.

À la suite du rapport dévastateur de la vérificatrice générale, le gouvernement Couillard a augmenté de 25 $ les allocations pour les nouveaux arrivants inscrits en francisation. Ils reçoivent désormais 140 $ par semaine, et ce, peu importe où ils suivent les cours.

Les libéraux s'engagent maintenant à créer un « guichet unique » pour les inscriptions aux cours. Cela, ils l'avaient déjà promis deux fois dans le passé, sans que la vérificatrice générale ait vu les résultats...

Bref, c'est peu et c'est tard.

Comme la majorité des Québécois sondés cette semaine, la Coalition avenir Québec veut aller plus loin, en rendant les cours de francisation obligatoires. Et en demandant l'expulsion de ceux qui les échouent à plusieurs reprises. Mais le parti devrait tirer les conclusions de ses critiques contre les libéraux. Il reste un immense ménage à faire avant de sortir le bâton et punir ceux qu'on prétend vouloir accueillir.

Ils sont partis

À l'Assemblée nationale, les partis s'entredéchirent sur le nombre d'immigrants que le Québec devrait accueillir. Mais on parle trop peu du nombre perdu chaque année. Selon les plus récentes données, près de la moitié (46 %) des immigrants qui ne parlent pas français auront quitté le Québec moins d'une décennie après leur arrivée. Certes, la langue est loin d'être la seule explication - il y a sans doute des raisons familiales ou professionnelles. Mais une meilleure francisation aiderait à les retenir.

> Consultez le rapport de la vérificatrice générale sur la francisation

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