Jusqu'ici, tout va bien, répète Justin Trudeau alors que son plan climat continue de cheminer vers le précipice.

Il croyait avoir obtenu le compromis parfait : l'Alberta obtient l'oléoduc Trans Mountain, et elle adhère en échange au plan climat pancanadien, qui prévoit entre autres une taxe carbone (50 $ en 2025) et la fin des centrales de charbon en 2030. Mais il se trouve aujourd'hui écartelé. Pris entre l'Alberta, qui veut l'oléoduc à tout prix, et la Colombie-Britannique, qui fera tout pour le bloquer.

La solution du premier ministre libéral : un optimisme qui ressemble de plus en plus à du déni. 

Où ça, une crise? On continue d'avoir de «bonnes conversations!», répète-t-il. Il assure que l'oléoduc sera construit. Comment? Il ne le dit pas. Ah, ça ira, ça ira...

Sur la scène internationale, M. Trudeau parle comme un idéaliste. À la conférence de Paris en 2015, il proposait de limiter le réchauffement à 1,5 ºC, ce qui exigerait une mini-révolution verte. Mais au Canada, il agit comme un réaliste. L'environnement est une compétence partagée entre le fédéral et les provinces. Il cherche donc à rallier l'Alberta, qui s'accroche à son économie pétrolière - elle veut la faire croître pour la prochaine décennie, même si le consensus scientifique recommande de ne pas exploiter la majorité des réserves connues d'hydrocarbures.

Cela explique le slogan de M. Trudeau : l'économie et l'environnement ne s'opposent pas, ils vont ensemble. Il n'a pas forcément tort. En théorie, beaucoup de choses se peuvent... Mais décodons la phrase. Ce que M. Trudeau y propose, ce n'est pas un idéal. C'est un compromis pour rallier les provinces pétrolières à son plan climat.

Ottawa s'oppose à l'oléoduc Northern Gateway, mais en promeut deux autres, soit le Keystone XL (exportation vers les États-Unis) et le Trans Mountain (exportation vers l'Asie, en passant par la Colombie-Britannique)*.

Trans Mountain triplerait la capacité d'un oléoduc qui existe déjà. Il augmenterait la capacité de production pétrolière, et donc les émissions anticipées de gaz à effet de serre (GES). Par contre, cette hausse (environ 8 Mt/an) serait inférieure à la baisse que Ottawa croit obtenir avec son plan climat (232 Mt/an)**.

Des nations autochtones de la Colombie-Britannique ont déjà conclu une entente avec la pétrolière. Mais plusieurs autres se fichent des chèques et de la diplomatie verte. Elles croient que l'oléoduc Trans Mountain menace leur eau et leur écosystème, et elles se battront jusqu'au bout.

Des environnementalistes ne s'émeuvent pas non plus de ce compromis. Ils refusent que le plan climat soit conditionnel à une hausse de la capacité d'exportation de pétrole. À leurs yeux, le simple maintien du rythme actuel de production des sables bitumineux constituerait déjà une concession à l'Alberta.

De l'autre côté, l'Alberta et les lobbys économiques se demandent pourquoi M. Trudeau ne force pas la Colombie-Britannique à accepter l'oléoduc. Après tout, disent-ils, le transport interprovincial est une compétence fédérale. Des commentateurs soulignent même que son père s'était montré plus ferme lors d'une autre crise, au Québec, en octobre 70. Tant qu'à emprisonner des poètes, pourquoi ne pas emprisonner aussi des écologistes? Après tout, eux aussi sont des rêveurs embêtants...

M. Trudeau manque de temps. Trans Mountain menace de mettre fin au projet d'ici le 31 mai si l'impasse ne se dénoue pas. Et si l'oléoduc survit à cette échéance, cela ne suffira pas à sauver le plan climat du gouvernement. Car Ottawa pourrait avoir de nouveaux ennemis encore plus coriaces. Les conservateurs Jason Kenney et Doug Ford ont des chances de gagner les prochaines élections en Alberta et en Ontario, et ils n'auraient aucun scrupule à brûler le plan libéral.

M. Trudeau n'est pas le seul embêté à Ottawa. Le chef néo-démocrate Jagmeet Singh est lui aussi tiraillé entre la Colombie-Britannique et l'Alberta, gouvernés tous deux par sa famille politique. M. Singh n'a pas trouvé une meilleure proposition que de demander un avis de la Cour suprême.

En d'autres mots, M. Singh crie «réfléchissons», et M. Trudeau répond «on agit». Pendant ce temps, rien n'arrive, à part le temps qui passe.

M. Trudeau croyait avoir trouvé la vérité au centre, mais pour l'instant, il s'y trouve seul, au milieu de nulle part. Le Canada est un pays bien difficile à gouverner.

* On pourrait bien sûr ajouter le projet Énergie Est. Ottawa y était favorable, mais le projet a été abandonné par l'entreprise TransCanada, entre autres à cause des conditions du marché.

** Selon les calculs d'Andrew Leach, professeur à l'Université d'Alberta et président du panel albertain sur les changements climatiques. Il estime que chacune des trois centrales actuelles de charbon de l'Alberta émet plus de GES que n'est censé le faire le futur oléoduc Trans Mountain.

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