Le projet de loi de Québec sur le cannabis ne serait pas assez restrictif, prétendent les maires de Saint-Jérôme, Saint-Jean-sur-Richelieu et Trois-Rivières, ainsi que la Coalition avenir Québec.

Ils veulent carrément interdire la consommation de cannabis dans les lieux publics. Même si la position séduit à première vue, elle ne résiste pas à l'analyse.

Le régime sur le cannabis s'inspirera de celui sur le tabac. La cigarette est interdite sur les terrasses, près des entrées (distance minimale de neuf mètres) et dans les parcs aménagés (terrain sportif, aire de jeux, etc). Il est aussi possible de l'interdire dans les logements - une clause peut être ajoutée dans un bail ou dans une convention de copropriété.

Le projet de loi reprend ces interdictions, et il en ajoute. Il serait aussi interdit de fumer un joint sur le terrain d'un cégep ou d'une université.

Cela laisse peu d'endroits pour fumer... Il reste sa maison - si on en possède une -, un parc non aménagé ou la voie publique. Au nom de quoi interdirait-on de griller un joint dehors?

La fumée secondaire n'est pas un bon argument. Le risque pour la santé se limite aux espaces non ventilés qui abritent plusieurs fumeurs. C'est le cas des entrées d'édifice et des terrasses, mais pas des parcs et des trottoirs.

Pour la même raison, l'odeur n'est pas un argument convaincant. Elle ne dure que deux ou trois secondes, et il suffit de faire un pas pour y échapper.

Un autre argument est celui de la banalisation. Plus on voit des fumeurs, plus on banalise la consommation, ce qui l'augmenterait. Or, la banalisation résulte de plusieurs facteurs, comme la promotion, le prix et l'accessibilité. Et à ce sujet, Québec envoie déjà un message clair : le cannabis est loin d'être inoffensif. Par exemple, on empêchera la promotion et la publicité, on limitera les points de vente à un petit nombre de succursales d'une nouvelle société d'État, on contrôlera la qualité du produit, on le placera derrière les comptoirs, et on restreindra les lieux de consommation. Mais il faut tout de même qu'il en reste un peu...

Ce qu'on devine chez ceux qui veulent interdire les joints à l'extérieur, c'est une tentative de bloquer la légalisation elle-même. Il est bien sûr légitime de s'y opposer, mais cela se fait en s'adressant au fédéral. Pas en multipliant les obstacles pour les fumeurs.

En agissant ainsi, on multiplierait les petites règles qui gaspillent le temps des policiers. D'ailleurs, même sous la prohibition actuelle, ils évitent parfois d'intervenir auprès des petits fumeurs qui ne dérangent personne.

Pire, il n'est pas impossible que ces maires ouvrent la porte aux poursuites. Des fumeurs pourraient plaider que le municipal bloque indirectement une loi criminelle, qui relève du fédéral.

Ironiquement, les maires de Saint-Jérôme et de Trois-Rivières demandent au gouvernement Couillard d'agir à leur place. Ils veulent que Québec interdise la consommation dans l'ensemble des lieux publics de la province. Les deux grandes associations municipales (FQM et UMQ) s'opposent au contraire à une approche «mur-à-mur».

Pour l'instant, Québec permettrait aux municipalités d'aller au-delà de la loi en adoptant des règlements plus sévères. Au nom du respect de leur autonomie, cela se défend. Mais plus les municipalités seront nombreuses à jouer aux shérifs puritains, plus elles risquent de rendre inopérante la légalisation du cannabis.

La prohibition a pourtant montré son inefficacité. Au lieu de se battre pour maintenir ce tabou nuisible, il faudrait réaliser la chance qui s'offre : concevoir de toutes pièces un régime qui réduit les risques, au lieu de prétendre que le problème disparaît parce qu'on ferme les yeux.

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Quel modèle : le tabac ou l'alcool?

Pendant qu'on répète avec raison que le cannabis ne doit pas être banalisé, on ne se soucie guère de la banalisation quotidienne de l'alcool.

Le régime sur le cannabis devrait s'inspirer de celui sur le tabac.

Au Québec, la publicité et la promotion de l'alcool sont autorisées. Il n'y a pas de contrôle du nombre ou de l'emplacement des dépanneurs qui vendent de la bière sur les tablettes. Et on attribue des permis aux restaurateurs et aux bars pour vendre et boire sur place de l'alcool.

Le régime sur le tabac est plus restrictif, et le projet de loi sur le cannabis en constituerait une version encore plus sévère.

Seule la société d'État du cannabis pourrait vendre la substance. Et il y aurait peu de succursales : 15 cet été, et jusqu'à 150 d'ici 2020. À titre de comparaison, il y a plus de 800 succursales ou agences de la Société des alcools du Québec (SAQ), sans compter tous les dépanneurs... Autre contrainte additionnelle : la nouvelle société d'État sera autorisée à perdre de l'argent. Cela l'empêchera, du moins pour l'instant, de ne pas devenir une vache à lait comme la SAQ et Loto-Québec.

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