Après la conquête spatiale, l'astronomie entre dans l'ère du mystère et de l'humilité. Voici notre prise de position pragmatique  et nuancée sur le cosmos.

Lors de votre prochaine excursion dans le chantier de l'échangeur Turcot, nous suggérons de faire jouer ceci : 

Ça, c'est le bruit de l'espace-temps courbé par la collision de deux trous noirs. Le son d'une immensité qui s'effondrait dans un apparent rien, au milieu de nulle part, il y a 1,3 milliard d'années. On peut en tirer diverses leçons, du genre : ailleurs, c'est loin et c'est pire qu'ici. À tout le moins, cela devrait susciter l'étonnement.

Au XIXe siècle, le poète William Blake accusait la science mécanique de Newton de rétrécir le réel en voulant tout mesurer, tout calculer. Il préférait son imagination qui réussissait à voir « un monde dans un grain de sable ». C'est désormais le contraire. Notre imagination est trop pauvre pour concevoir ce que la science révèle.

Une découverte à la fois, elle élargit notre conscience. Cela n'aidera peut-être pas à équilibrer le prochain budget Morneau, mais on peut tout de même y trouver une certaine pertinence.

L'astronomie chatouille maintenant les plus grandes questions : 

- De quoi est fait l'univers ?

- D'où vient-il ?

- La vie existe-t-elle ailleurs ?

La plus grande découverte de 2016 était celle des ondes gravitationnelles, entendues dans l'extrait plus haut, qui confirment la théorie d'Einstein et nous aidera à répondre à la deuxième question. Et la plus grande découverte de 2017 est celle des exoplanètes du système Trappist-1, situé à « seulement » 40 années-lumière de chez nous.

Il y a quelques décennies, parler d'extraterrestres pouvait mener à l'asile. Maintenant, cela aide à décrocher une bourse de recherche. Et ça ne fait que commencer.

Ces exoplanètes ont été découvertes grâce au télescope spécialisé Kepler, qui n'observait qu'une petite lucarne du cosmos. D'ici la fin de l'année, il devrait être remplacé par le plus performant TESS. Après avoir été identifiées, les planètes seront étudiées en détail par le télescope spatial James-Webb, puissant successeur de Hubble, qui sera lancé en 2018. Un de ses nombreux rôles sera d'analyser l'atmosphère des exoplanètes, pour voir si elles portent la signature chimique de la vie.

***

L'astronomie est devenue plus mystérieuse que conquérante. Elle paraît d'ailleurs lointaine, l'ère de la conquête de l'espace. Cette année, on célèbrera déjà le 60e anniversaire du lancement du premier satellite Spoutnik, et le 45e anniversaire de la dernière marche sur la Lune. Les missions ne sont plus un combat patriotique mené par d'ex-pilotes de chasse qui triomphent en direct à la télé. Les astronautes se contentent maintenant d'orbiter autour de la Terre, et les prochaines excursions prévues seront faites par de riches touristes (séjours privés prévus en 2018 autour de la Lune, et possiblement après 2020 sur Mars).

On commence à s'habituer à notre système solaire. Même s'il en reste beaucoup à apprendre, chacune de ses attractions principales a reçu de la visite. L'année dernière, la sonde New Horizons a croisé Pluton, Juno a été placée en orbite autour de Jupiter et Philae s'est posée sur une comète.

Certes, les progrès techniques ne cessent d'éblouir. La robotisation permet d'explorer Mars avec Rover et de créer des outils en orbite par imprimante 3D, tandis que l'entreprise SpaceX fait atterrir ses fusées, ce qui les rend réutilisables et baisse ainsi le coût des missions. Mais l'effet sur notre psyché a changé. Dans les années 60-70, la conquête de l'espace marquait le triomphe de notre espèce. Aujourd'hui, ces prouesses flattent autant notre orgueil qu'elles l'écrasent. Car elles donnent une autre mesure de l'humanité.

Il y aurait plus de 1000 milliards de galaxies dans l'univers, et chacune de ces galaxies abriterait en moyenne quelque 200 milliards d'étoiles. Il y a donc plus d'étoiles dans le cosmos que de grains de sable sur la Terre.

À elle seule, notre galaxie recèlerait plus de planètes de type terrestre qu'il y a d'humains. Cela fait beaucoup de points d'interrogation à regarder la nuit dans le ciel...

L'univers ressemble à une énigme qui s'épaissit quand on la scrute. Nous ignorons encore de quoi il est fait - la matière connue ne compterait que pour environ 5 % de sa masse. Le reste serait composé « d'énergie noire » et de « matière noire », dont on ignore la composition. Et même pour la matière connue, on tente encore de réconcilier la physique de l'infiniment petit avec celle de l'infiniment grand. Tout cela dans un univers qui s'étire depuis 13,8 milliards d'années, de plus en plus vite.

Et l'humain dans tout cela ? Si l'histoire de la Terre était ramenée à une journée, l'humanité durerait un soupir, perdu dans une galaxie quelconque, en banlieue de l'infini. Le plus bel accident qu'on connaisse, et peut-être aussi le seul.

Voilà l'étonnement que voulait communiquer l'astronome Carl Sagan quand il s'est battu dans les années 80 pour que la sonde Voyager 1 prenne une dernière photo de notre planète avant de quitter notre système solaire. La manoeuvre était coûteuse et complexe, mais il a convaincu la NASA. Cela a donné le « Pâle point bleu ». La Terre y apparaît à peine, plus petite qu'un pixel.

Peut-être que Sagan pensait à notre automobiliste coincé dans le trafic montréalais, là où la misanthropie se développe.

L'astronome décrivait ainsi l'image.

« On a dit que l'astronomie incite à l'humilité et forge le caractère. Il n'y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette image lointaine de notre monde minuscule. » « Regardez encore ce point. C'est ici. C'est notre maison. C'est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez et connaissez, tout le monde dont vous avez entendu parler, chaque être humain qui a déjà vécu sa vie. La somme de nos joies et souffrances, de milliers de religions aux convictions assurées, d'idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, héros et lâches, créateurs et destructeurs de la civilisation, chaque roi et paysan, chaque couple en amour, chaque mère et père, chaque enfant plein d'espoir, inventeur et explorateur, chaque professeur de morale, chaque politicien corrompu, chaque « vedette », chaque « chef suprême », chaque saint et pécheur de l'histoire de notre espèce ont vécu ici - un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. » (traduction libre)

PHOTO FOURNIE PAR LA NASA

Cette image, produite par le téléscope Hubble, contient environ 10 000 galaxies sur une portion du ciel pas plus grande qu'un poing.

IMAGE TIRÉE DE WIKIPEDIA

Le poète William Blake, portrait de Thomas Phillips

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion