« I told the truth and look where it got me », ironisait Leonard Cohen dans son tout dernier recueil de poèmes.

La route d'un de nos plus grands poètes et musiciens s'est arrêtée cette semaine, après avoir atteint les sommets de son art.

On le savait souffrant. Cet automne, il a lancé son 14e et ultime album, enregistré sur une chaise orthopédique. Le titre de cet adieu : You Want It Darker, comme s'il se soumettait ironiquement une dernière demande spéciale de son public, curieux de savoir comment on se sent quand les lumières s'éteignent.

Avec lui, le désespoir s'adoucissait. Il a toujours eu le pessimisme élégant.

Cette écriture limpide ne jaillissait toutefois pas sans peine. Il ciselait ses vers jusqu'à l'obsession, comme avec Hallelujah, pondue après des années de gestation et quelque 80 réécritures.

Même s'il avait l'intuition de la vacuité de tout effort, il ressent très tôt l'urgence de dire. Avec d'autres « perdants magnifiques », le jeune Leonard passe des soirées à débattre de vers. « On pensait que ce qu'on faisait était terriblement important, se souvenait-il quelques décennies plus tard. Et qui sait... Peut-être que ça l'était. »

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Cohen naît en 1934 à Westmount dans une famille aristocrate - son grand-père a présidé le Congrès juif canadien.

Après des études en littérature, il obtient une bourse à Londres, où il achète une machine à écrire et son « fameux imperméable bleu ». Puis, déprimé par la grisaille, il s'évade en Grèce et y rencontre sa future muse Marianne.

Il sera d'abord poète. Il publiera six livres avant de mettre enfin à profit son don, sa voix d'or. Même si sa carrière s'envole à la fin des années 60, il gardera toujours un pied-à-terre à Montréal. Son traducteur Michel Garneau raconte qu'il prenait même parfois l'avion pour venir dormir une nuit ou deux dans sa maison du Plateau Mont-Royal, que ses fidèles connaissaient sans oser l'y déranger.

Malgré son succès, il ne perdra jamais son sens aigu de l'autodérision. L'auteur de Death of a Ladies' Man avouait ne plus compter les nuits où il s'était résigné à s'endormir seul.

Il ne dédaignait pourtant pas les chemins de travers. Dans une anecdote convertie en poème, Cohen demande conseil à son mentor Irving Layton. Après l'avoir écouté, il lui répond, inquiet : es-tu certain au moins que tu es en train de faire la mauvaise chose ?

Il avait un autre mentor, tardif celui-là : Roshi, du monastère bouddhiste du mont Baldy, en banlieue de Los Angeles. C'est un épisode de blues - un euphémisme - qui le mène jusqu'à ce moine zen, avec qui il buvait des « bouteilles de scotch à 300 dollars ». Dans cette chambre meublée d'une table, une chaise et un lit, il reçoit son nom d'apprenti. Jikan, pour silence.

Après une trahison conjugale qui vide ses épargnes, il relance sa carrière, part en tournée en 2008 puis enregistre une dernière trilogie, grandiose.

Sa voix devenait un peu plus grave, dans tous les sens.

À un monde qui vomit sans cesse le spectacle de soi, il servait des vérités amères, une petite gorgée à la fois.

Il ne chantait jamais de mots superflus ni innocents. Ses chansons lui survivent aujourd'hui, comme des îlots de lucidité aigre-douce, des puits dans lesquels se faufilera encore longtemps la lumière.

Il en reste aussi les silences, pleins de beauté et de bonté, pour une époque qui en a plus que jamais besoin.

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