Dans le financement de la santé, Justin Trudeau et sa ministre Jane Philpott jouent à bad cop, bad cop avec les provinces.

Sous prétexte qu'une partie des transferts ne servirait pas à la santé, ils veulent en freiner la hausse, et ils veulent désormais décider où ira l'argent. Certes, on peut comprendre que le tandem libéral veuille réexaminer la substantielle hausse des transferts. Mais ce qui est injustifiable, c'est de le faire en s'immisçant dans les compétences des provinces et en déformant la réalité.

Selon Mme Philpott, les provinces engloutissent trop d'argent dans leurs systèmes de santé inefficaces. Il ne faudrait donc pas maintenir l'augmentation de 6 % des transferts en santé, car cela inciterait au gaspillage.

De son côté, M. Trudeau rappelle que depuis 2012, la hausse des dépenses en santé est inférieure à celle des transferts. Les provinces n'auraient donc pas besoin de ces sommes additionnelles.

Ainsi, les provinces dépenseraient à la fois trop et pas assez pour pouvoir réclamer plus d'argent...

Si M. Trudeau veut des relations constructives avec ses homologues, il devrait commencer par bien présenter les faits.

Les dépenses en santé grugent une part de plus en plus importante du budget des provinces à cause du vieillissement de la population.

LA FACTURE DÉPASSE LE CHÈQUE

Il existe trois types de transferts fédéraux : santé, services sociaux et péréquation. Depuis 1994, l'enveloppe en santé a augmenté alors que celle en programmes sociaux a diminué. Dans l'ensemble, ces variations s'annulent presque. Le total des transferts fédéraux est pratiquement resté au même niveau depuis 20 ans (légère baisse de 3,5 à 3,2 % du PIB).

Mais si le chèque reste stable, la facture à payer augmente. Les dépenses en santé coûtent de plus en plus cher à cause du vieillissement de la population. Un aîné coûte près de cinq fois plus en soins que le reste de la population, selon l'Institut canadien d'information sur la santé.

L'année dernière, deux points de bascule ont été atteints : 

 - Le nombre de Canadiens de 65 ans et plus a dépassé celui des 15 ans et moins ;

 - La dette nette des provinces (en ratio du PIB) a dépassé celle du fédéral.

La hausse annuelle prévue des dépenses en santé chez nous sera de 4 à 5 %, selon les prévisions du Conference Board et de l'Institut du Québec.

Cela menace de créer un nouveau déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces, comme le rapportait l'année dernière le Directeur parlementaire du budget.

En réaction à ce choc démographique, le gouvernement Martin avait bonifié de 6 % par année les transferts. Malgré tout, cette hausse majeure n'a pas suivi celle des dépenses provinciales en santé (moyenne de 7,2 % par année de 1998 à 2010).

En fin de mandat, Stephen Harper avait modifié cette entente sans consulter les provinces. À partir de 2017, la hausse des transferts équivaudrait maintenant à celle du PIB nominal, avec un minimum de 3 %.

En campagne électorale, M. Trudeau s'était engagé à renégocier avec les provinces. Il a finalement repris les cibles de M. Harper.

Sa ministre Philpott prétend que les dépenses provinciales en santé sont devenues hors de contrôle. Mais ce n'est pas parce qu'elle s'en rend compte aujourd'hui que les autres ne le savaient pas. On ne compte plus les rapports et les tentatives de réforme pour régler le problème.

C'est dans ce contexte que Québec a resserré ses dépenses depuis trois ans. On peut critiquer les choix, entre autres avec les médecins spécialistes et la bureaucratie. Mais ce qui est indéniable, c'est que des décisions douloureuses ont été prises pour limiter l'augmentation annuelle à moins de 3 % en 2014 et en 2015.

Comment réagit M. Trudeau ? En y voyant la preuve que les provinces n'auraient pas besoin d'une majoration de 6 % ! Qu'elles détournent les transferts pour payer des « programmes de je ne sais trop quoi ».

Cette attaque est illogique, car le fédéral ne finance que le cinquième des dépenses. Comment peut-on en effet prétendre que le chèque ne va pas entièrement à la santé quand il ne couvre qu'une fraction des dépenses ?

En plus de se moquer des faits, le premier ministre joue avec la Constitution en forçant les provinces à consacrer une portion des futures sommes à la santé mentale et aux services à domicile. Or, cette compétence relève des provinces.

Et le fédéralisme asymétrique ? Des « principes de politologue », répond-il, dans un élan populiste à la Stephen Harper.

M. Trudeau aurait très bien pu plaider que la hausse de 6 % était trop grande, puis chercher une nouvelle formule qui incite les provinces à contrôler leurs coûts sans les asphyxier. Par exemple, en modulant les transferts en fonction du vieillissement de la population. Mais il a préféré se poser en défenseur des patients. Il devrait se souvenir que la compétence en santé vient avec la reddition de comptes. Veut-il que les Québécois l'accusent dorénavant chaque fois qu'une personne âgée ne réussit pas à être soignée chez elle ? Est-ce vraiment son souhait ?

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