Il n'y a rien de bon dans le coup d'État manqué en Turquie la semaine dernière. On ne pouvait souhaiter que l'armée éjecte un président élu en novembre dernier. Mais on ne se réjouit pas non plus que ce soit lui qui gouverne le pays.

Le président Erdogan dérivait déjà vers l'autoritarisme et une certaine islamisation. Le putsch raté constitue un « don de Dieu », a-t-il lui-même avoué, pour mater ses rivaux. Les paranoïaques ne sont jamais aussi dangereux que lorsque les faits semblent leur donner raison.

En réaction au putsch avorté, M. Erdogan a placé en garde à vue des milliers de militaires, avocats et magistrats, en plus de congédier plus de 9000 policiers.

Pour les États-Unis, l'Europe et leurs alliés, cela pose deux inquiétudes immédiates :  la Turquie risque de devenir moins fiable pour aider les réfugiés et combattre le groupe État islamique (EI).

La Turquie est en train de prouver que les ennemis de nos ennemis ne font pas toujours de bons amis.

En d'autres mots, c'est plus compliqué que jamais dans la région.

Le dilemme qui taraude l'Occident depuis des décennies se pose ainsi à nouveau : à quel point peut-on cautionner un régime autoritaire pour régler un problème à court terme, sans en créer d'encore plus graves à long terme ?

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La Turquie est habituée aux coups d'État de l'armée, qui protège l'héritage laïque de la république. Le quatrième et dernier putsch réussi, en 1997, était une réaction à une islamisation du pouvoir. Erdogan a payé cher. Alors maire d'Istanbul, il est emprisonné quatre mois pour avoir lu un poème religieux violent.

Cette brusque laïcisation crée toutefois un ressac. Erdogan en profite à sa libération. Il fonde une version plus modérée des précédents partis islamistes et prend le pouvoir en 2002.

Ses débuts sont prometteurs, avec un boom économique, des réformes démocratiques et des discussions pour adhérer à l'Union européenne. Mais l'armée reste méfiante à l'égard d'Erdogan, comme le rapporte le politologue Ömer Taşpınar*, à cause de ses positions changeantes sur la minorité kurde et la religion (tentative de criminaliser l'adultère, de contrôler l'alcool et d'autoriser le port du voile à l'université).

Cela mène à deux tentatives indirectes de coups d'État : par l'armée en 2007 qui publie ses demandes sur l'internet, et par les tribunaux qui essaient en 2008 d'interdire le parti au pouvoir.

Erdogan a répliqué avec des purges contre les contre-pouvoirs (armée, justice et médias). Près de 2000 dossiers ont été ouverts depuis 2014 pour insulte au président.

Aux élections de juin 2015, la majorité lui échappe. Il rompt les négociations avec la minorité kurde, puis déclenche de nouvelles élections à l'automne.

C'est une victoire obtenue grâce à la division et la répression. Et la liberté de presse a été si faible que la population a surtout été libre de choisir pour quel mensonge voter.

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C'est sur cette vacillante Turquie qu'on s'appuie aujourd'hui pour lutter contre l'EI et régler la crise des réfugiés.

Dans la mission anti-EI, la Turquie jouait déjà un dangereux double jeu. Tout en disant combattre l'EI, elle l'aidait à tuer les Kurdes, son ennemi numéro 1. Les purges d'Erdogan n'aideront pas. La base aérienne turque d'Incirlik, d'où partent des bombardements contre l'EI, a même été fermée temporairement après l'arrestation de certains militaires. L'armée pourrait manquer de moyens ou d'intérêt, trop occupée par les crises internes.

Quant aux réfugiés, la Turquie échoue à respecter l'entente conclue le printemps dernier avec l'Union européenne. Après avoir accueilli plus de 2,7 millions de réfugiés, la Turquie se ferme. Elle bloque l'accès à des réfugiés ou les emprisonne même parfois.

La tâche des alliés sera difficile : s'assurer de la collaboration de la Turquie, sans fermer les yeux sur ses graves dérapages.

Comme l'explique le politologue Jabeur Fathally, le meilleur espoir est que la Turquie réalise, comme elle l'a fait récemment avec la Russie, qu'elle n'a plus les moyens de s'aliéner tout le monde.

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