Si la justice se bande les yeux, c'est peut-être aussi pour ne pas voir le mur contre lequel son idéal s'écroule.

Notre système de justice traverse une crise d'accès. Il est trop long et trop coûteux, tellement qu'on a transformé le droit en un luxe. Pour trop de gens, la justice ressemble à un mirage vers lequel on ne finit plus de ramper, comme le démontre le calvaire du dessinateur Claude Robinson.

Ce diagnostic a souvent été posé*. Ce qui est nouveau, c'est l'occasion d'agir, autant en droit civil que criminel. Car les plaques tectoniques ont bougé cette année.

En criminel, la secousse a été administrée la semaine dernière par la Cour suprême. Elle a établi une limite aux causes : 18 mois (Cour du Québec) et 30 mois (Cour supérieure) entre le dépôt des accusations et la fermeture du dossier. Si ce délai est dépassé, c'est à la Couronne de le justifier.

Cette épée de Damoclès impose un résultat, sans toutefois fournir les moyens. Pour y arriver, Ottawa peut aider en annulant tel qu'il l'a promis les peines minimales imposées par le gouvernement Harper qui engorgent les tribunaux.

Québec doit de son côté briser la culture de méfiance entre les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense, qui nuit à la conclusion d'ententes. La ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, a fait un premier geste positif en lançant un projet-pilote à ce sujet, en plus de convoquer tous ces acteurs à une même table.

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En civil, l'électrochoc provient du nouveau Code de procédure, en vigueur depuis le début de l'année. Il s'agit d'une mini-révolution dans notre droit. Il ne reste qu'à la mettre en pratique.

Les procès ressemblaient à une guerre totale dans laquelle le juge laisse les avocats choisir leurs armes : requêtes, interrogatoires, expertise sur l'expertise et autres interminables procédures. Et ils étaient incités à le faire à cause de la facturation horaire.

C'est ainsi que le sablier se vide et que la facture s'allonge. Les clients riches ou assez pauvres pour profiter de l'aide juridique peuvent s'en tirer. Mais pas la classe moyenne, qui se défend de plus en plus seule.

Le nouveau Code de procédure civile vise à renverser cette dérive en privilégiant l'arbitrage et la médiation. Mais il y incite sans l'exiger. Pour entamer un procès, il suffit de prouver que la médiation a été refusée, et non qu'elle a échoué. Tous les efforts doivent être investis pour promouvoir ces règlements.

L'autre condition de réussite se trouve chez les juges. Ce sont les acteurs-clés de la réforme.

Elle leur donne un nouveau pouvoir, celui de gérer leur salle d'audience, par exemple en limitant les procédures des avocats ou en imposant un expert commun.

Peut-être que certains craignent d'être déboutés en appel. Mais ils doivent se rappeler qu'il s'agit de la volonté du législateur. Quand la justice est trop reportée, elle finit par être niée. Même dans une cause complexe, la recherche de la vérité devrait pouvoir se faire à l'intérieur d'une même ère géologique... L'Allemagne et la France, parmi d'autres pays, le prouvent bien.

Pour piloter ce virage, il faudra bien sûr ajouter des ressources là où il y a pénurie (juges, greffiers, salles, etc.).

D'autres pistes devraient aussi être explorées, comme permettre certains actes juridiques à des non-membres du Barreau.

Il ne restera plus alors qu'à mesurer le progrès. Pour cela, le ministère de la Justice devrait mettre de l'ordre dans ses statistiques confuses et incomplètes sur les délais. Si on voulait nier le problème, on ne s'y prendrait pas autrement.

* Lire à ce sujet le rapport Cromwell et les mises en garde de l'ex-juge en chef de la Cour supérieure François Rolland.

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