Il est un peu trop facile d'attribuer la crise actuelle à la « culture » de la « machine » du ministère des Transports (MTQ).

La culture ne se propage pas quelque part dans l'éther de la colline Parlementaire. Elle s'incarne dans des dirigeants et dans des décisions. Des choses sur lesquelles le pouvoir politique peut et doit agir.

Certes, comme le rappelle Philippe Couillard, l'opacité règne depuis très longtemps au MTQ - le dernier siècle ne manque pas de scandales liés au vieux ministère de la Voirie. Mais le problème a pris une inquiétante tournure en 2011, comme le démontre le témoignage de Louise Boily.

Mercredi, l'ex-vérificatrice interne du MTQ a démonté la mécanique de l'opacité. Cette culture « vient d'en haut », a-t-elle rappelé. Il y a eu un « changement d'attitude » avec l'arrivée d'une nouvelle patronne des fonctionnaires, la sous-ministre Dominique Savoie.

C'était peu avant le début de la commission Charbonneau. Mme Savoie a placé ses vérificateurs dans une situation vulnérable en les faisant relever des directions régionales sur lesquelles ils enquêtaient.

Sous sa férule, la curiosité du MTQ a aussi plus que jamais changé de cible. La sous-ministre a demandé deux fois d'être informée quand ses employés parlaient à la commission Charbonneau. Mme Boily dit avoir été intimidée pour connaître la source de fuites.

Les hauts fonctionnaires s'intéressaient toutefois beaucoup moins aux malversations elles-mêmes. On a même demandé à Mme Boily... de ne pas « faire trop d'enquêtes ». Et la demande venait de nulle autre que la patronne des enquêtes au Ministère, Nathalie Noël !

On avait déjà entendu les allégations d'Annie Trudel, mais son témoignage était moins percutant, pour deux raisons. Mme Trudel avait été engagée comme enquêteuse privée par Robert Poëti. L'ex-ministre des Transports était intègre, mais il s'y est mal pris pour faire le ménage. Il n'a pas donné à Mme Trudel un mandat indépendant de l'exécutif, ce qui a incité le MTQ à la méfiance.

Par contre, Mme Boily était une enquêteuse interne du MTQ, qui y a travaillé pendant plus de 10 ans. Elle comprend comment le Ministère a évolué.

De la somme de leurs témoignages, on retient ceci : le MTQ a intimidé ses vérificateurs, falsifié des documents et trompé le gouvernement. C'est gravissime.

Si la commission Charbonneau fut un tremblement de terre, on a assisté cette semaine à une réplique : le retour de révélations sur le pourrissement du MTQ.

Cela nous laisse avec une question troublante. Mme Charbonneau a-t-elle eu accès à toutes les informations requises sur ce ministère durant ses travaux ?

Le premier ministre doit sévir contre les responsables de l'opacité et créer des mécanismes pour faire la lumière. Or, dans les deux cas, sa réaction a été trop lente et confuse.

Peu avant de dégommer la sous-ministre Savoie, M. Couillard la vantait sans réserve. Et peu après son congédiement, le chef de cabinet du ministre des Transports a été réembauché comme conseiller au ministère de l'Emploi. Voilà comment on crée une culture d'impunité : en ne sanctionnant pas les gestes comme ils le mériteraient.

Quant aux mécanismes à implanter, l'Unité permanente anticorruption et la commission Charbonneau ont tracé la voie. Elles recommandent en priorité de protéger les dénonciateurs et de créer une Autorité des marchés publics, avec des vérificateurs indépendants pour scruter entre autres les contrats du MTQ.

La première mouture du projet de loi sur les dénonciateurs offrait un bouclier plein de trous. Et lors de sa première annonce sur le shérif des contrats, Québec ne voulait pas accorder les pouvoirs d'enquête. Dans les deux cas, il a fallu une crise pour forcer le gouvernement Couillard à corriger le tir.

Quand il faut un ouragan politique pour se mettre en marche, on ne peut plus vraiment parler de sens de l'initiative.

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