C'était une bonne journée, hier, pour ne pas regarder la période des questions à Ottawa.

Le déficit prévu en 2016-17 sera d'au moins 18,4 milliards de dollars, avait annoncé plus tôt en journée le ministre des Finances, Bill Morneau. C'est près du double de ce qu'il promettait l'automne dernier, et cela n'inclut pas encore la majorité des promesses électorales.

Le déficit ne résulte pas avant tout des « dépenses [libérales] hors contrôle », comme l'ont prétendu les conservateurs. Si ce trou suscite de l'inquiétude, ce n'est pas parce qu'Ottawa en est responsable. C'est au contraire parce qu'il n'en contrôle pas les causes, et parce qu'il ne se protège pas encore assez contre elles. 

L'attaque de l'opposition est trompeuse pour plusieurs raisons.

-  Le déficit est moins grand qu'il ne paraît. Il n'équivaudra qu'à environ 1 % du PIB. Et ce trou n'offre qu'un polaroid de l'économie. Pour sortir de cette myopie, il faut regarder le ratio dette/PIB. Or, le Canada en affiche le plus faible ratio du G7. L'important est qu'il n'augmente pas.

- Les libéraux ne sont pas les principaux responsables du déficit. Les coupables sont l'essoufflement de la Chine, la trop lente reprise américaine et, surtout, la chute du prix du pétrole. Chaque fois que le baril baisse de 10 $, le PIB diminue d'environ 25 milliards.

Les dépenses libérales déjà annoncées (baisse d'impôt, accueil de réfugiés et nouvelle mission anti-groupe État islamique) ne comptent que pour environ 2 milliards.

- Viser l'équilibre budgétaire en 2016-2017 exigerait des compressions soudaines et dangereuses. Au lieu d'étouffer la croissance, il faut la relancer avec des investissements ciblés. Cette approche n'est pas inspirée par les socialistes ou les rêveurs de licornes. Plutôt par les économistes du secteur privé consultés par le ministre Morneau. Leur constat est clair : avec la baisse du coût d'emprunt et la relative faible dette, le moment d'investir est bien choisi.

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Le problème ne réside pas dans le déficit prévu cette année. Il se trouve dans le remède à long terme.

M. Morneau se limite pour l'instant aux intentions. Il répète comme un mantra qu'il « investira dans l'économie ». En théorie, c'est la chose à faire... si c'est bien fait. Or, on ignore encore comment il s'y prendra. La pensée positive ne suffira pas pour faire jaillir la miraculeuse croissance d'un océan à l'autre.

Deux flous demeurent. Le premier concerne les infrastructures. Le plan libéral hausserait ces dépenses de 60 milliards. Le détail n'est toutefois pas encore connu.

L'effet sur la croissance pourrait survenir plus tard que prévu, et il pourrait aussi être plus bref.

Lancer un chantier crée bien sûr des emplois. Mais à moins que le projet soit structurant - par exemple, un nouveau train qui relie deux villes -, l'impact sur l'économie s'estompera une fois la construction terminée. Pour éviter le saupoudrage, il faut parfois jusqu'à deux ans pour évaluer un projet, rappelle François Delorme, ex-économiste en chef à Industrie Canada et enseignant à l'Université de Sherbrooke. M. Morneau devra attendre un peu le bond souhaité du PIB.

L'autre flou concerne l'Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve, qui souffrent de la chute du pétrole. Il s'agit pour l'instant d'un problème conjoncturel, mais il pourrait se prolonger assez pour devenir structurel. D'où l'importance d'aider ces régions à diversifier leur économie. Car c'est désormais aussi lorsque Calgary éternue que tout le Canada attrape le rhume, et il commence à manquer d'anticorps.

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