Justin Trudeau marchait sur un fil de fer hier. En retirant ses six avions-chasseurs de la mission anti-État islamique (EI), il a réussi à remplir un engagement électoral sans trop indisposer ses alliés.

Cela relevait avant tout du positionnement politique. Il s'agissait d'abord d'un message pour ses électeurs. M. Trudeau leur répète son message fétiche : il n'est pas Stephen Harper. C'était aussi une tentative de rassurer des alliés. Le Canada appuie encore les frappes aériennes, avec ses avions de reconnaissance et de ravitaillement. Et il appuiera davantage les offensives au sol, en triplant le nombre de soldats canadiens qui entraîneront et armeront les combattants locaux. Il faudra voir s'ils se rendront sur la ligne de front, qui évolue sans cesse dans cette région chaotique. Mais que l'implication soit directe ou indirecte, la mission en reste une de combat.

À cela s'ajoute l'aide humanitaire, une excellente nouvelle, qui demeure toutefois indépendante du débat sur les frappes.

Certes, les autres membres de la coalition ne jubilent pas. Le Canada leur envoie un message ambigu : il appuie les bombardements, mais ne veut pas se salir les mains... Si les États-Unis ont dû rappeler qu'Ottawa était encore un « ami », c'est parce qu'il y avait des raisons d'en douter. Reste que l'irritation est à la hauteur de la contribution canadienne : mineure. Nos CF-18 comptaient pour moins de 3 % des frappes, et d'autres pays prendront le relais.

Le Canada rejoint ainsi l'Allemagne, l'Espagne et quelques autres membres de la coalition qui ne bombardent pas le groupe État islamique.

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Voilà pour la stratégie politique, une tentative de ménager un peu tout le monde. La stratégie militaire, elle, reste nébuleuse. Quand on gratte la surface, on cherche en vain la logique.

Si on retire les CF-18, est-ce parce que les frappes sont inefficaces ? M. Trudeau ne l'a pas prétendu. Avec raison, car elles ont aidé la coalition à reprendre Ramadi à la fin de décembre.

Est-ce alors parce que le Canada ne pouvait pas fournir de CF-18 tout en augmentant le nombre de formateurs ? M. Trudeau n'a pas indiqué que le manque de ressources l'en empêchait.

Est-ce parce que les frappes étaient selon lui illégitimes ? Si M. Trudeau le pense, il est incohérent. En effet, trois avions canadiens continueront de ravitailler et guider les avions de chasse de la coalition. Le Canada n'appuiera peut-être plus sur la détente, mais il va polir et armer le fusil de ses amis.

Le premier ministre s'est contenté de dire qu'il veut miser sur les forces du Canada pour mieux combattre l'EI. Pourtant, la coalition qui orchestre la stratégie n'a jamais demandé ce virage.

À la décharge du Canada, cette coalition est étrange. Elle ne relève pas de l'ONU. Ni de l'OTAN. Plutôt des États-Unis, qui ont mobilisé plus de 20 pays volontaires pour mater l'EI. C'est une famille dysfonctionnelle. Par exemple, la Russie bombarde des rebelles qui veulent détrôner le dictateur syrien Assad, alors que les États-Unis les soutiennent. À cela s'ajoutent les guerres larvées que se livrent dans la région l'Iran et l'Arabie saoudite, ou les Kurdes et la Turquie.

Il y a plusieurs incendies allumés dans cette poudrière, et certains pompiers travaillent au lance-flammes. La position entortillée du Canada est donc à l'image du conflit. Mais elle devrait être utile, malgré tout.

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