Au cimetière des grands disparus de la politique reposent des piles et des piles de matière particulièrement biodégradable : les rapports d'experts.

Avec le recul, on réalise à quel point ces oubliés deviennent nombreux. Les énumérer prendrait plus d'espace que ne le permet cet écran. Il y a par exemple le rapport Pronovost pour briser le monopole syndical de l'UPA, les rapports Bissonnette-Porter puis Ménard pour éviter une nouvelle crise étudiante, le rapport Perreault pour baliser les nominations partisanes ou encore les multiples propositions de réforme de notre coûteux système de santé, qui à elles seules mériteraient leur aile funéraire.

Selon la langue de bois politique, commander un rapport, c'est se mettre en « mode proposition », soit le passage béni qui mène du « mode écoute » au « mode solution ». Mais s'il faut chercher un slogan plus sincère, ce serait plutôt « un rapport, une tablette ».

Un des exemples les plus navrants est la commission Bouchard-Taylor. Quelques heures après le dépôt du rapport de 310 pages, les élus adoptaient déjà une motion unanime pour s'opposer au retrait du crucifix du Salon bleu. Il s'y trouve encore, d'ailleurs.

Le tablettage des rapports est certes frustrant. Mais il reste moins dommageable qu'on ne le prétend.

D'abord, parce que le terme « tablettage » est réducteur. La réalité est plus nuancée. Un rapport contient habituellement des dizaines de recommandations. Même si on en ignore les plus médiatisées, d'autres sont souvent adoptées.

Ensuite, même si un rapport est tabletté par le gouvernement, il ne disparaît pas. Ses chiffres et analyses éclairent le débat public. Et ses recommandations peuvent être récupérées par les autres partis et groupes de pression. Par exemple, le rapport Perreault a révélé l'ampleur des nominations partisanes, en plus de montrer comment les baliser.

Enfin, le tablettage n'est pas toujours mauvais. Il est difficile à justifier quand le rapport vient d'un contre-pouvoir indépendant, comme le Vérificateur général ou le Protecteur du citoyen. Mais quand le gouvernement commande lui-même un rapport à des experts de son choix, la marge de manoeuvre augmente. Nous vivons en démocratie, et non en expertocratie. Il est normal que les experts, qui ne rendent pas de comptes à la population, n'aient pas le dernier mot. D'ailleurs, ils n'ont pas toujours raison. Ce qui pose problème n'est donc pas le rejet d'un rapport, mais l'accumulation de rejets, car elle finit par trahir un manque de courage politique.

Ce qui est pire qu'un rapport tabletté, c'est un rapport avec un vice de fabrication. Comme ceux où les dés sont pipés à cause du mandat ou du choix d'experts, ou encore ceux que l'on commande pour pelleter un problème vers l'avant. Or, avec le temps qui avance, ce qu'on remet à plus tard finit par revenir dans nos pattes.

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