Peu de lieux communs exaspèrent autant que celui voulant que « la politique est une affaire de perception ». Ce n'est pas faux, bien sûr. Mais ceux qui le répètent posent trop souvent en victimes alors qu'ils sont complices.

Répéter qu'une perception erronée est ce qui compte, c'est une autre façon de mettre à égalité un fait et une fausseté. Hélas, voilà ce qui se produit avec la rémunération des députés de l'Assemblée nationale.

Depuis quelques jours, les critiques fusent. Les élus ne devraient pas se voter une hausse salariale. Pas pendant qu'on réclame le gel dans les négociations avec les employés du secteur public et parapublic. Pas pendant qu'on exige des compressions douloureuses en éducation et ailleurs. Sur le plan des « perceptions », ce serait inacceptable.

Or, cette critique ignore un fait têtu : la réforme se ferait à coût nul. Et ce calcul provient non pas du gouvernement, mais plutôt du rapport indépendant L'Heureux-Dubé déposé en novembre 2013.

Ce projet de réforme était alors défendu avec raison par le gouvernement Marois. À cause du manque de temps et de l'opposition des caquistes et solidaires, il n'a pas pu aller de l'avant. Ce sont maintenant les péquistes qui hésitent à donner leur appui au volet plus controversé du rapport.

On hausserait le salaire d'un député d'environ 20 000 $. En contrepartie, l'élu devrait cotiser davantage à son régime de retraite. À cela s'ajoute la fin des allocations de départ pour démissionnaires - une prime à la désertion dénoncée avec raison par tous les partis, et dont ont surtout profité les libéraux.

Mises ensemble, ces mesures s'annulent. Et surtout, elles changent les incitatifs. La rémunération sera un peu plus avantageuse pour les députés qui effectuent un ou deux mandats, et un peu moins pour ceux qui passent toute leur carrière à l'Assemblée nationale. On encourage ainsi le renouvèlement de la classe politique.

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Les élus ne doivent pas décider eux-mêmes de leur rémunération. C'est pourquoi on avait commandé le rapport L'Heureux-Dubé, dont les recommandations se trouvent dans les deux projets de loi déposés la semaine dernière. L'opposition ne conteste pas ce principe. Elle souhaite abolir dès que possible la prime aux démissionnaires, et attendre la prochaine élection avant que n'entre en vigueur le nouveau mode de rémunération. On serait alors revenu à l'équilibre budgétaire et les négociations avec la fonction publique auront été réglées. Cette proposition raisonnable fait maintenant consensus.

Mais le péquiste Alexandre Cloutier est allé plus loin la semaine dernière en affirmant que la loi ne devrait pas être adoptée durant les négociations, en laissant entendre que cela coûterait plus cher à l'État.

Sa proposition de compromis fait sourire : que les élus redonnent leur hausse salariale aux employés de l'État. Or, quand on prend le temps de faire le calcul, cela ferait un chèque d'environ six dollars par syndiqué. Cette abnégation leur permettra d'acheter une frite sauce ou un sous-marin, selon les goûts.

Si les perceptions comptent tant, c'est aussi parce qu'on les manipule.

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