Montréal semble avoir une conception originale de la « ville intelligente ». Ce serait aux citoyens de faire preuve d'intelligence, voire d'une perspicacité extrême. C'est du moins une hypothèse qui expliquerait la chasse au trésor lancée il y a quelques semaines pour découvrir la vérité au sujet du déversement d'eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent.

Peu d'indices ont été donnés. Quelques mots ont été glissés en août dans l'annexe d'un sommaire décisionnel de la ville, puis des lettres ont été envoyées à des kayakistes et autres plaisanciers pour les prévenir de ne pas naviguer sur le fleuve à la fin d'octobre. Il a fallu que des reporters creusent le dossier pour réaliser que dans le cadre du réaménagement de l'autoroute Bonaventure, Montréal assécherait un intercepteur de 30 kilomètres. Et que pour réaliser ces travaux nécessaires, huit milliards de litres d'eaux usées seraient jetés dans le fleuve du 18 au 25 octobre.

Certes, la ville a obtenu l'hiver dernier un certificat d'autorisation du ministère de l'Environnement du Québec. Mais ce document exigeait que « toutes les mesures nécessaires » soient prises pour informer la population. Montréal s'en est tenue au strict minimum.

Cela a privé les Montréalais d'un débat entre adultes. On l'attend d'ailleurs encore. Pour défendre les travaux, M. Coderre a répété hier qu'il n'y aurait « aucun impact » sur le fleuve. C'est un peu court. 

Même si plusieurs scientifiques ont assuré que l'eau demeurerait potable, l'impact ne sera tout de même pas nul sur des écosystèmes comme celui du lac Saint-Pierre.

Il y a un coût inévitable. La question est de savoir s'il excède le bénéfice des travaux. Il faut y répondre avec la science. Le seul examen disponible est celui, très court, de Québec, qui a mené à un feu vert. D'autres scientifiques ont depuis témoigné - hélas ! dans le désordre, à cause de la médiatisation tardive du dossier. Ils ont relevé deux risques dont on parle trop peu : si Montréal fait ces travaux, c'est en partie pour entretenir son réseau et éviter ainsi des déversements futurs. Et si on se soucie, par exemple, des bactéries et traces de médicaments, le déversement d'une semaine n'y changera rien. Même en temps normal, l'eau n'en est pas débarrassée.

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Le manque de transparence a rendu possible la politisation du dossier, mais cela ne l'excuse pas. La colère du maire de Montréal à l'endroit des conservateurs est tout à fait justifiée. Le gouvernement fédéral a reçu le dossier il y a plus d'un an, et aucune critique n'avait été formulée. Puis, avec aussi peu de gêne que d'arguments, la ministre de l'Environnement, Leona Aglukkaq, s'est opposée cette semaine au déversement.

À quelle crainte Montréal n'a-t-elle pas répondu ? Les citations dégurgitées dans le communiqué de presse de Mme Aglukka ne permettent pas de le savoir. Et qu'en pensent les scientifiques de son ministère ? Les conservateurs les musèlent. Peut-être parce que la seule science qui les intéresse, c'est l'électoralisme. Quitte à paralyser des travaux névralgiques pour gagner une poignée de votes.

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