Si un suspect se gratte le nez, on peut en conclure une chose. Son nez lui pique. Ou pas. Le reste relève platement de l'hypothèse.

À quoi ont pensé le Barreau et le Service de police de la Ville de Montréal en se jetant dans les griffes de la synergologie ? Un inquiétant dossier publié cette fin de semaine dans nos pages révélait qu'à l'instar d'autres organismes, ils offrent à leurs membres une formation de cette pseudo-science.

La synergologie prétend pouvoir associer 1700 gestes à un état mental précis. Or, ses assises scientifiques sont aussi solides que la glace au mois de mai.

Difficile de mesurer les conséquences de ces formations sur notre système judiciaire. Les risques de dérapage sont toutefois évidents. Si un suspect a le malheur de poser l'index devant sa bouche, croira-t-on qu'il hésite ? Qu'il est prêt à se faire arracher une confession ? Et si un témoin en cour se gratte le lobe d'oreille, lui accordera-t-on moins de crédibilité ?

Les dangers sont d'autant plus grands qu'en appel, les témoins ne sont pas convoqués à nouveau à la barre. L'erreur peut être irréparable.

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Au début du 19e siècle naissait la phrénologie. Cette pseudo-science cartographiait le cerveau à partir d'une intuition qui n'était pas infondée : à chaque zone correspond une fonction. Si le crâne recèle une bosse, cela signifierait que le cerveau y est plus gros à cet endroit. Et donc que la fonction de cette zone cérébrale serait plus développée. De là vient le mythe de la « bosse des maths ».

Comme la phrénologie, la synergologie singe la méthode scientifique. Les deux accumulent des observations, puis en tirent des conclusions. 

Mais ils ne s'intéressent pas à tester l'hypothèse que leur théorie serait fausse, afin de confirmer qu'elle est bel et bien vraie.

Pour le faire avec la synergologie, trois choses devraient être vérifiées: ce que pense réellement un individu; si cette pensée est toujours accompagnée par un geste particulier, et vice-versa; et enfin si le lien s'observe avec d'autres sujets. Il est possible d'imaginer de telles expériences. Encore faudrait-il que les synergologues veuillent s'y soumettre. Or comme Procruste et son lit, ils essaient plutôt de faire entrer de force les observations dans leur théorie.

La synergologie a peut-être déjà été utile. Elle n'a pas forcément raison ou tort. Sa logique est différente. Elle vise moins à avoir raison qu'à convaincre. Ou, pour être plus précis, à vendre.

C'est un produit idéal pour accompagner les viennoiseries et la pensée positive lors des congrès professionnels. Elle soulage aussi des bureaucraties comme celle du Barreau, qui doivent offrir des formations à leurs membres. Heureusement que l'École nationale de police, plus rigoureuse, refuse d'enseigner cette technique miracle à ses étudiants. Car la crédulité ne fait pas partie du mandat des gardiens de notre système de justice.

Photo François Roy, La Presse

Le Barreau du Québec et le Service de police de Montréal ont offert à leurs membres des formations de synergologie, révélait La Presse la fin de semaine dernière. 

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