L'accès à l'avortement ne pose pas problème, et le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, jure qu'il ne le réduira pas. Une poignée de sceptiques déchirent malgré tout leur chemise - ou l'enlèvent - à cause d'un projet de règlement qu'ils n'ont pas vu. Leurs craintes sont injustifiées.

C'est grâce aux luttes féministes que l'avortement a enfin été décriminalisé par la Cour suprême en 1988. Si le droit ou l'accès à l'avortement étaient menacés, les coups d'éclat militants seraient tout à fait compréhensibles. Mais ce n'est pas le cas.

Certes, des groupuscules pro-vie tentent de culpabiliser les femmes qui disposent librement de leur corps. Reste que dans notre système de santé, il n'y a pas de problème d'attente. Ni d'argent. Depuis un jugement rendu en 2008, les interventions en clinique privée sont entièrement remboursées. C'est d'ailleurs encore au Québec qu'il se pratique le plus d'avortements au pays.

La prétendue menace viendrait du projet de loi 20, qui serre la vis aux médecins généralistes. Le ministre Barrette leur imposera deux types de quotas. D'abord, un minimum de patients à prendre en charge, pour hausser leur productivité. Ensuite, un maximum de catégorie de patients reconnus dans ce calcul. Par exemple, au-delà d'un certain seuil, les cas de médecine sportive ne seront plus comptabilisés dans les patients pris en charge. On veut ainsi inciter les médecins à diversifier leur pratique pour répondre aux besoins de toute la population.

Il s'agit d'un incitatif, et non d'une interdiction. Les omnipraticiens pourront violer ces quotas, mais leur salaire diminuera en conséquence, jusqu'à 30 %.

Certains cas, comme un aîné diabétique, sont plus longs à traiter. Le ministre prévoit donc une pondération, pour que ces patients comptent pour plus d'une personne prise en charge.

L'avortement est toutefois incompatible avec ces quotas. Celles qui se font avorter veulent un service discret, sans être inscrites sur une liste et retourner voir le même médecin. Il est aussi souhaitable que des omnipraticiens se spécialisent en avortement pour en protéger l'accès.

Voilà pourquoi le ministre a prévu des exceptions. Les 1008 premiers avortements seront reconnus comme s'il s'agissait de patientes prises en charge. Or, seulement quatre médecins dépassent ce seuil au Québec, et ils devraient recevoir une exemption de la Direction régionale de médecine. Si cette exemption était refusée, un comité ministériel auquel siègent des omnipraticiens pourra infirmer la décision. Et si jamais ce n'était pas le cas, le ministre pourra accorder une permission spéciale. Ce qu'il fera sans hésitation, répète-t-il.

Selon les omnipraticiens, le projet de loi serait complexe et ingérable. Le calcul de la pondération et des quotas semble en effet comporter une part d'arbitraire. Par contre, personne n'a réussi à démontrer en quoi l'accès à l'avortement serait limité. Et si cette menace existait, c'est justement ce qu'on dénonce - le pouvoir discrétionnaire du ministre - qui permettra de corriger la situation, en moins de 24 heures.

L'avortement, le sujet politique le plus inflammable, devrait être traité avec prudence, y compris par ceux et celles qui le défendent. Il y a des limites à l'indignation préventive.

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