Maher Arar était innocent, et plusieurs agents de la CIA s'en doutaient, a révélé cette semaine un ex-espion américain. La GRC a tout de même réussi à l'époque à convaincre les États-Unis avec sa fausse information. L'ingénieur informatique avait été expédié comme du bétail dans une geôle syrienne, où on l'a torturé. La GRC a ensuite réagi de la pire des façons: en essayant d'étouffer le scandale.

Cette leçon a été oubliée. Le gouvernement conservateur n'a pas corrigé les failles qui ont permis ce genre d'erreur, et il s'apprête à les aggraver avec son projet de loi C-51.

La loi décuplerait les pouvoirs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). L'agence ne se limitera plus à la collection d'information. Elle pourra désormais intervenir sur le terrain, au Canada comme à l'étranger. Et elle pourra le faire en violant la loi au nom de la «sécurité nationale», un concept flou qui pourrait même inclure la protection des infrastructures.

On brouille ainsi la frontière entre le SCRS, qui amasse l'information, et la GRC, qui fait un travail policier. Et on le fait en ajoutant de nouveaux pouvoirs sans avoir prouvé leur nécessité et sans les accompagner de contre-pouvoirs.

Craig Forcese et Kent Roach, professeurs de droit aux universités d'Ottawa et de Toronto, ont longuement analysé l'insuffisance de ces garde-fous. D'abord, en amont, dans la surveillance. Pour violer la loi, le SCRS devra obtenir un mandat. Le juge devra toutefois s'en remettre à la preuve des autorités et l'audition sera secrète, sans possibilité d'appel.

Ensuite, en aval, dans l'examen. Contrairement aux États-Unis ou à l'Angleterre, les élus chargés d'évaluer le travail des agences ne peuvent consulter des données confidentielles parfois cruciales.

Il existe bien sûr des chiens de garde pour la GRC, le SCRS et le Centre de sécurité des télécommunications. Mais ils manquent déjà de ressources pour faire ce travail, et on aggravera le problème en augmentant les activités qu'ils doivent étudier. Pis, ces chiens de garde ont les mains attachées dans le dos. On les empêche encore de partager des renseignements entre eux pour coordonner leurs enquêtes.

Le projet de loi est bien plus généreux avec les autorités. Pas moins de 17 ministères et agences pourront maintenant partager des renseignements sensibles sur les Canadiens. C'est «sans précédent», s'est inquiété le commissaire à la vie privée. Surtout que ces renseignements ne sont pas toujours exacts. Le SCRS collige des données de nombreuses sources, pour évaluer un risque. Ce travail prospectif de renseignement exige une preuve plus faible que le travail policier, qui doit établir un fait hors de tout doute raisonnable. Les tribunaux ont d'ailleurs déjà reproché au SCRS son manque de rigueur, notamment dans l'affaire Almrei.

Que pourra maintenant faire l'agence avec ces renseignements? Participer à la détention de Canadiens à l'étranger? Le gouvernement conservateur a refusé de fermer cette porte. On a déjà vu jusqu'où elle peut mener.

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